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  • Alain Jacobs

Jean-Claude Flornoy et le pèlerinage de l'âme.


Jean-Claude Flornoy

Enrique Enriquez en entretien avec Jean-Claude Flornoy

New York / Sainte-Suzanne Février 2010


Enrique Enriquez:


Laissez-moi commencer en posant la question sur laquelle s’interroge tout le monde du Tarot: vous rappelez-vous de votre premier baiser?



Oh yes!


Comment était ce premier baiser comparé au moment où vous avez découvert le Tarot. Je veux dire le moment par lequel le Tarot dans sa totalité soudainement fit sens pour vous.


Ce sont des moments d’une intensité exceptionnelle, rares dans une vie et forts semblables. Tout d’un coup le ciel se déchire et vous êtes basculés dans une fusion avec le monde qui vous entoure et celui-ci vous devient brutalement compréhensible et porteur de sens! Vous hallucinez, rendez grâce à la beauté du monde et devenez raide amoureux du Tarot ou de Britney Spears!


Maintenant, vous ne vous êtes probablement pas marié avec la première fille que vous avez embrassée, mais vous êtes devenu maître cartier. Comment est-ce arrivé?


Tout d’abord, à partir du 6 décembre 1986, date de ce dévoilement, j’ai commencé à écrire un bouquin autobiographique. Dans la vision que j’avais eue, toute ma vie s’était récapitulée sous mes yeux au rythme des arcanes du Tarot, en tranches de vie d’une précision quasi chirurgicale. J’ai donc raconté mes vécus dans le «rappel de soi» en fonction des arcanes. Le lien de base vécus/n°arcane, essentiel pour le Tarot, était fait, le reste n’était plus qu’une « piece of cake ». Le «rappel de soi» est le revécu d’un passé dans la situation de l’observateur/observant, avec la saveur des énergies de cet instant, c’est une «madeleine de Proust». Ce livre est terminé mais j’ai renoncé à le finaliser.

En même temps j’ai commencé à tirer les cartes, avec le jeu que j’avais sorti de la naphtaline de mes 20 ans. Chaque arcane est une programmation graphique d’un lieu de conscience ou, comme pourrait dire Castaneda, un point d’assemblage précis. Alors à l’époque il m’était facile de basculer dans les larmes de mes 16 ans quand mon visiteur sortait L’Amoureux, ou de la rage de mes 30 ans quand c’était La Force. J’étais en sympathie (au sens étymologique grec : souffrir avec) avec mon visiteur et ça m’était donc extrêmement facile de lui indiquer, de lui faire toucher du doigt et vivre la qualité énergétique du chemin vers la sortie de sa crise existentielle: je lui parlais depuis son paillasson.

Puis, en 1995 j’ai eu la commande de la part d’un théâtre parisien d’un décor avec les 22 arcanes du Tarot Marteau, dimensions 2,50m x 1,20. Le matériel m’a été payé, et j’étais arrivé à Tempérance le spectacle a été annulé. Je me suis retrouvé avec mon travail sur les bras et le Tarot Grimaud qui me sortait par les yeux! C’est alors que j’ai commencé une sérieuse étude historique et blanchi mes toiles pour y faire le Conver. J’y ai pris un réel plaisir, et m’immerger un an et demi dedans m’a changé. Entre autres ce travail m’a permis de constater l’invraisemblable opérativité de ces images dans des formats pareils.

Ensuite ce furent les 8 premiers arcanes de Noblet. Les autres n’étant pas disponibles en ecktas à la BN avant 12 mois, j’ai fait les 22 toiles du Dodal et enfin terminé le Noblet. Entre deux, Viéville s’est intercalé pour les 4 images complètement hors «canon», les XVI, XVII, XVIII, XIX. Les 15 années de mon temps d’apprentissage étant terminées, j’ai lâché les pinceaux et suis devenu éditeur/écrivain du Tarot.


Vous nous avez donné les versions restaurées de Noblet et Dodal, d’abord en éditions limitées faites à la main et maintenant en versions complètes industrielles. Je sais combien est important pour vous de préserver l’exactitude du jeu original, mais, combien de vous pensez-vous avoir mis dans ces jeux?


Le minimum!

Pour le Noblet, je ne vois rien, et pour le Dodal, juste le dos réversible, toujours une question débattue, deux erreurs couleur, l’une involontaire sur la Lune, l’autre pas sur Le Soleil.

Bien sûr, une édition industrielle demande la standardisation des dimensions. Il faut savoir que les cotes intérieures des cartouches varient de 2mms en hauteur et 1 en largeur sur les originaux. J’ai tout ajusté sur la grande taille. Ce à quoi se rajoutent un cartouche de 1mm d’épaisseur et 3 autres millimètres imposés par l’imprimeur. Le résultat est ce jeu d’un format inhabituel.


Dans votre reconstruction du Dodal vous avez eu accès aux deux seuls originaux existant : celui de Paris à la Bibliothèque nationale et celui du British Museum. Avez-vous travaillé avec ces deux jeux?


Oui.


Quelles différences avez-vous trouvé entre les deux?


Tout d’abord les couleurs, elles sont en meilleur état pour la copie anglaise, mais salies de noir et fadasses. Quant à l’impression noire, elle y est en général plus grasse.

Puis 3 mineures sont d’un autre moule, probablement antérieur. Il s’agit de l’as de bâton, d’épées et du valet de bâton. Pour notre édition le choix a porté sur la version française pour le valet et l’as de bâton et sur l’anglaise pour l’as d’épée.

As de Bâton (Original British Museum / Original BNF / Editions letarot.com)

As d’Epée (Original British Museum / Original BNF / Editions letarot.com)


Comment est-ce techniquement possible que trois cartes viennent d’une planche différente ?


Les stocks! A cette époque, on n’hésite pas à recomposer des jeux complets avec des provenances multiples et pas toujours du même atelier. Pire, elles étaient souvent recoupées aux ciseaux pour faire des jeux complets vendus d’occasion. Nous ne saurons probablement jamais si les moules de Tarot de la Généralité de Lyon marqués «F.P.LE.TRANGE» ont fait ou non partie de l’autodafé royal de 1701, nous savons seulement qu’une nouvelle production faite par Dodali commence vers cette date. A cette période il n’y avait que peu de gaspillage, tout était utilisé, réutilisé, alors les restes provenant d’une édition précédente ont pu être réemployés.

Quant à cette inscription «F.P. LE.TRANGE», elle semble signifier selon T. Depaulis soit «Franc pour l’Etranger», soit «Fait pour l’Etranger», appellation permettant l’exonération des taxes françaises pour les jeux d’exportation. Dodal a-t-il rajouté un i à son nom pour vendre ses jeux en Italie?


Combien de temps vous a-t-il été nécessaire pour finir cette re-construction?


Plus de deux années.


Combien de temps, pensez-vous, aura mis le graveur original à créer ces planches?


J’imagine que 2/3 mois sont un maximum, mais je ne suis pas sûr.


Je me suis souvent demandé combien de soins étaient mis dans la fabrication de ces jeux. Quel est votre sentiment à ce sujet?


Le graveur en homme libre et indépendant a toujours fait un travail aussi sérieux et propre que possible. ( * voir note en fin d'article)

Dans les ateliers l’impression du noir était réalisée par des professionnels la plupart du temps hautement qualifiés mais la mise en couleur est souvent négligée, voire faite dans des conditions déplorables. J’ai lu dans nos archives de Sainte-Suzanne qu’en 1792, la carterie commençait le travail à minuit et faisait mettre en couleur par des enfants, à la bougie.


Pour l’imprimerie de votre version de ce jeu, vous avez installé une palette couleur. Pourriez-vous dire si le résultat final est plus près du jeu français ou anglais?


Franchement le français.


Je trouve une forte ressemblance graphique entre les images du Dodal et du Noblet. Je me réfère à la posture des personnages. Ceci est spécialement évident dans les honneurs: Valets, Reines, Rois et Chevaliers. Les Chevaliers chez Dodal semblent être des versions approximatives des cavaliers de Noblet. Pensez-vous qu’il soit possible que le Dodal fût fait en copiant sur le Noblet?


Non, le style graphique et les détails signifiants sont par trop différents. Ils ont reçu un enseignement comparable mais le traduisent avec un style nettement différencié et le coup de patte de chacun est personnel. Par contre on peut employer le mot de copie pour les tarots faits plus tard à Marseille. Comme par ailleurs, il n’y a plus d’actualisation.


Quand j’ai montré le Dodal restauré à quelques personnes, leur réaction était: «Donc, c’est le même jeu que vous avez déjà, seulement plus grand, n’est-ce pas?» D’une certaine façon je comprends ce qu’ils voient, mais en même temps je pense qu’ils ne comprennent pas. Selon votre avis, pourquoi la restauration du Dodal était-elle nécessaire ? Qu’est-ce que les gens vont trouver là-dedans qu’ils ne trouvent pas dans le Noblet?


Ils ont avec le Dodal un flash, un court-circuit énergétique au niveau de l’inconscient différent de celui du Noblet. Une image du Tarot ouvre une porte et le paysage qui est derrière est différent selon la porte. Comme je l’ai déjà exprimé, une image est une programmation d’un lieu de conscience, un point précis d’assemblage du regard intérieur. Selon l’arcane et selon le graveur, ils sont un peu, beaucoup ou pas du tout éloignés les uns des autres. C’est comme une charlotte au chocolat faite par deux chefs, l’une sera plus sucrée, l’autre plus juteuse. Je dirais que Dodal est moelleux et Noblet un peu sec.


Parlez-moi un peu du terme «Compagnon». Est-ce un terme que vous utilisez pour définir toutes les guildes médiévales , ou vous signifiez quelque chose d’autre avec lui?


Les «compagnons» entraient en «compagnonnage» au sein d’une fraternité comme on entre en religion ou au parti communiste. Il s’agissait d’une organisation du travail de type communautaire moderne, presque syndical, avec une section d’entraide, de recrutement et en plus une formation technico-spirituelle interne. Dans la voie des artisans vous devez avoir l’habileté manuelle et le sens intime du matériau mais aussi pratiquer, toutes en même temps, les 6 autres qualités traditionnelles de base : courage, patience, générosité, humilité, obéissance, sens des responsabilités, toutes en même temps. Dans la durée et avec la pratique, les 6 qualités et l’habileté progressent conjointement.


Seulement, que demandait-on de construire aux fraternités du compagnonnage?


Des athanors, des creusets alchimiques : des engins de transes collectives destinés à transmuter et embarquer toute une population vers Dieu! Nous sommes en plein chamanisme technologique! Alors les «compagnons» au sein du «compagnonnage» sur leurs chantiers, et quels que soient leurs métiers (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, sculpteurs, verriers …) participaient à une école permanente de sorciers/techniciens à la Harry Potter, qu’il le sachent ou non. Le compagnon devient maître quand il le sait. Nous sommes loin des guildes qui viendront plus tard structurer les privilèges de castes professionnelles.


Je parlais avec une femme qui a restauré quelques peintures Thangka du 12èsiècle. Nous discutions du comment il y a une connaissance visuelle sous-jacente dans une peinture Thangka qu’on trouve aussi dans les vitraux d’une cathédrale européenne, les sculptures ou dans un manuscrit médiéval. Je parle d’une compréhension de forme qui est aussi une intelligence du comment utiliser la forme pour positionner l’esprit humain. A un niveau technique, un artiste Tibétain et un imagier Européen partageaient les mêmes connaissances, ils les attribuaient simplement à des systèmes de croyance différents.


Exactement!


Dans votre texte vous avez écrit: «La sagesse sous-tendue par le Tarot est une philosophie pragmatique de métier.» Y parlez-vous de cette même connaissance?


Oui, mais pas seulement, il y a aussi l’idée d’amélioration progressive consubstantielle entre le travail et le monde spirituel. Pour un artisan/artiste, plus vous faites du beau, (le beau c’est l’opératif, direct comme un coup de poing, qui crée la béance et ouvre les portes du paradis) plus votre âme est belle!


Comment décririez-vous cette «science opérative» que vous voyez dans le Tarot?


L’apprentissage est celui de l’opérativité. Pour un imagier d’une période sacrée, il s’agit de programmer l’inconscient via l’image vers une méditation précise dont le lieu de conscience, un arcane, est défini par le graphisme et surtout les couleurs. Les Thangkas et les Tarots sont de même niveau opératif.

Qu’on le veuille ou non les couleurs nous manipulent. L’art est de bien les doser et comme nous avons besoin que la conscience accompagne ce processus, on lui donne du grain à moudre avec du signifiant.


Alors, les mandalas invitent l’esprit à partir dans un voyage spirituel-psychologique. Diriez-vous que le Tarot fait la même chose?


Oui.


Dans ce cas, pensez-vous que le Tarot à l’intention de nous amener tous à un endroit spécifique?


Oui, c’est ce qu’il fait discrètement depuis des siècles. Il semblerait qu’aujourd’hui il y ait toujours des amateurs pour cette variété de chamanisme ma foi très moderne. Les Tarots sources agissent comme un GPS. Ils nous conduisent tous au même lieu, mais pour certains ce sera au printemps dans une foule et pour d’autres la solitude en hiver. Le Tarot est d’abord et avant tout expérimentiel. J’utilise assez souvent le mot de psycho-nautique pour désigner ce voyage spirituel-psychologique, ou celui de Tarot-nautique! Ne sommes-nous pas des marins sur l’océan de l’âme?


Il y a une idée derrière l’art contemporain qui est d’agir pour emporter l’esprit faire un tour illicite.


Art et illicite, ces mots me rappellent les interminables discussions hautement parisiennes que j’avais lorsque j’étudiais la philo à la fac. Illicite semble être là pour indiquer un courage qui se souhaiterait exceptionnel, d’accepter de franchir les lignes de l’interdit et du correct, pour se laisser porter vers un inconnu. Illicite, signifie simplement à mon avis : aléatoire. La précision GPS est perdue, on ballotte aux grès des vents émotionnels. Je crains qu’avec l’art contemporain nous soyons opératifs certes, mais comme une boussole folle!


Les matériaux et les symboles ont une signification expérientielle,

(Signification n’est pas exactement le juste mot, pouvoir serait plus correct)

mais bien que chaque oeuvre d’art ait établi quelques coordonnés collectives pour commencer notre voyage, le point d’arrivée est à la fois individuel et inattendu. Est-ce que vous voyez cette même dynamique opérer avec le Tarot?


Avec le Tarot nous allons vers un lieu de conscience défini avec une précision chirurgicale, valable pour tous et validé par de nombreuses générations. Ce n’est pas le cas de l’art contemporain hautement égocentré et anarchique. Tant que nous sommes en découverte d’un territoire, le paysage varie en fonction des saisons, de notre position, de notre humeur, du goût de notre premier baiser et il est une nouveauté permanente en perpétuel mouvement. Est-ce pour autant qu’il est différent pour notre voisin? Le but du Tarot est de nous enseigner un parcours de l’âme, un pied devant l’autre, pas de nous ballotter d’un émotionnel à son jumeau.


Dans vos écrits je détecte une idée qui m’intéresse beaucoup, mais c’est une notion qui je dirais est plus développée en Orient que dans le monde Occidental: tout métier peut être un chemin spirituel.


Oui, mais n’oublions pas que nous sommes issus culturellement d’un système d’organisation quadripartite:

Producteurs : artisans/paysans, bâtons, Marchands : commerçants/financiers, deniers, Guerriers : aristocrates/soldats, épées, Savants : médecins/prêtres, coupes.

Un système d’organisation quadripartite de la société et que le Tarot en est le reflet. Entre les castes de l’Orient hindou et les «collèges» de l’Occident, quelle différence fondamentale faisons-nous : aucune au niveau de la théorie, plus pour le fonctionnement. Ce qui caractérise une fraternité du Moyen-Âge est la reconnaissance par ses pairs, au travers de rituels et cérémonies, d’une progression vers l’excellence, tant technique que, nous dirions aujourd’hui chamanique ou spirituellement opérative. Le soufisme occidental moderne est ce que nous avons de plus proche dans le genre.


Quand vous dites, par exemple, que la femme de la carte de L’Etoile montre un oeil sur le ventre à la place du nombril pour faire allusion à «l’oeil du maître» des tailleurs de pierre, leur aptitude à sentir la pierre et savoir comment la placer, vous parlez de la capacité de l’artisan de comprendre intuitivement les limites de la matière avec laquelle il travaille.


Encore plus, à les sentir physiquement! Au sein de l’apprentissage est un moment où il vous est enseigné comment placer votre attention dans votre ici/maintenant (la conscience distanciée de l’instant qui se fabrique: le laisser-faire et observer) dans une sensation corporelle particulière, une sorte d’attraction/répulsion liée au sens de la pierre. Les deux ensemble mon Général! Le truc est utile à un artisan mais l’essentiel est l’apprentissage de l’état d’observateur/observant. On peut aussi nommer cet état : attention seconde et c’est sa pratique automatique qui fait de vous un maître.


Je pense à Jackson Pollock et comment il a compris la peinture dans une mesure telle qu’il a pu l’amener au delà des limites de la représentation.


Il semblerait qu’il soit au delà du symbole ou du sens et qu’il parle directement à l’inconscient. Tout dépend de ce qu’il a à lui dire!


Pollock est un exemple intéressant, étant donné que quelques physiciens ont établi maintenant que toutes ses peintures s’organisent en une structure fractale. Il semble d’avoir peint en accord avec le rythme de la nature, et en tant que tel on pouvait voir son «action painting» comme le corollaire d’une sorte d’élan spirituel.


Le nombre d’or avait cette fonction. Certains artistes modernes me semblent être arrivés par effraction dans les mondes de l’opérativité, de manière «illicite» avec sur le dos tout un paquetage, un barddas plus ou moins byzantin, alambiqué, névrotique et surtout égoïste. D’autres nous ouvrent les portes du paradis!


Mais je pense aussi à Chang Canasta, un magicien qui a dévoué les dernières décennies de sa vie a la peinture. Quand on lui demandait pourquoi, il répondait: «Je crois en quelque chose qui s’appelle le talent. Une fois que vous l’avez, vous pouvez l’appliquer à tout.»


Idries Shah nommait cette chose «apprendre à apprendre». Une fois que vous avez appris à apprendre, vous passez en 6 mois/un an à l’excellence dans une profession qui vous était inconnue. Il en rajoutait une couche en disant que dans une vie bien remplie il fallait au minimum avoir fait 6 métiers au meilleur niveau! Serghiu Celebidache était le célèbre chef d’orchestre et le mathématicien reconnu et l’expert en tapis et l’éleveur amoureux de faisans et le linguiste d’exception parlant 7 langues ….. et et, pas ou ou.


Ici encore, le talent est une compréhension de la forme, rythme et motif qu’un homme comme Canasta pouvait utiliser pour présenter un tour de cartes ou peindre un paysage. Dès que nous comprenons la proportion, l’équilibre, la symétrie et le contraste, nous pouvons appliquer cette connaissance à tous les domaines de notre expérience. Est-ce que c’est cela que le Tarot veut nous apprendre, au delà du choix iconographique d’une imagerie: être maître en votre métier c’est aussi être maître en vous-même?


Vous avez parfaitement résumé la mission du Tarot et celui-ci va encore plus loin, «être maître en vous-même» pour participer à l’Âme du Monde…


Vous mentionnez aussi dans votre texte que Jacques Mermé eut la chance d’être formé au sens intérieur de la philosophie du Tarot comme tous les maîtres du compagnonnage de cette fin du 17ième. Comment connectez-vous cette affirmation avec l’idée du Tarot Dodal comme le dernier Tarot consciemment imprégné par l’intention des Compagnons?


C’est le sens de la flamme de Maison Diev qui me fait dire ça.

Le Tarot est issu d’un monde mental d’immanence philosophique de type platonicienne : l’individu peut sur ses propres réalisations se mettre en état de rejoindre les mondes de l’Esprit. La flamme est donc ascendante et à ma connaissance c’est le dernier Tarot à le faire. Tous les détails signifiants prouvent le haut niveau de compréhension du processus de «pèlerinage de l’âme» et qu’à cette époque là les procédures de transmission fonctionnaient encore en pleine connaissance de cause.

Après, la flamme est descendante, posant la question de la grâce divine et de ses intercesseurs : nous sommes en philosophie de type aristotélicienne. Le sens intérieur est perdu, on en a au mieux la souvenance et les ragots. Quant aux autres détails signifiants, il en va de même. Au mieux on les installe par copie, au pire on entre en «fantaisie». Le graveur de Nicolas Conver ira jusqu’à régler ses comptes avec la franc-maçonnerie naissante en plaçant 3 points sur la poitrine de la diablesse: la franc-maçonnerie est une diablesse! On n’en a rien à faire aujourd’hui de ces querelles de mi-dix-huitième. Le respect d’une tradition s’absente, la conscience globale de la civilisation glisse, on entre en ère préindustrielle.

Cartouche de Haultin l’aîné, Cartier à La Rochelle, Attesté en 1680


Dodal ne nous livre que des détails signifiants et pose sa signature de maître. Ce chrisme est depuis le Moyen-Âge l’apanage des imagiers, charpentiers et tailleurs de pierre.


Je vous demande cela par ce que je ne suis pas familiarisé avec la tradition des Compagnons, mais je connais ce que j’appellerai le « Marseille Lore » (ex: folk : peuple, lore : traditions, coutumes, usages) ». Pour moi, ces usages consistent en une série de notes de bas de page ajoutés à certaines images, sans que ces mentions soient nécessairement en accord avec l’intention iconographique originelle. Je pense que ce Lore est une partie fondamentale de la tradition Marseille, et par tradition je pense à l’utilisation narrative/divinatoire que nous avons faite de ces cartes. Pour citer quelques exemples, nous avons l’idée que Le Fou est la carte sans nombre et que La Mort est la carte sans nom, donc quand vous les superposez, La Mort devient le squelette du Fou.


De mémoire, c’est à Tchalaï que nous devons cette idée.

Pour en revenir au Lore, il est la raison qui a fait dire à Jodorowsky lorsqu’il écrivit la première préface de son Tarot ou dans un de ses livres je ne sais plus, que, nourri à la sève du Marseille Lore classique (Grimaud), il lui avait fallu «tuer le père» et que c’était à cette condition qu’il avait pu faire son jeu. De nombreuses mauvaises «bonnes habitudes» ont été prises parce que ce jeu était le seul disponible sur le marché. Vous avez aussi dans le genre, le très beau commentaire de Tchalaï sur la virgule du chapeau de La Force. Seulement, cette virgule est due à une cassure de moule!

Au début de mon travail sur Conver, après avoir blanchi mes toiles Marteau, j’ai eu la même tentation : faire mon jeu. Par exemple, j’ai peint d’abord les enfants du Soleil nus, puis, je leur ai mis des feuilles de vigne vertes, ensuite, je me suis agacé de moi-même et je leur ai remis leur culotte! Quand Jodo s’est libéré du Marseille Lore Grimaud, il s’est trouvé comme un chien tout fou et il est parti en délire de création égotique. C’est très dommage compte tenu de son talent! Après sa «psycho-magie» qui est un magnifique cadeau et un très bel apport au Tarot, il rate la marche qui l’aurait fait entrer dans la légende!


Il y a aussi l’idée que la personne qui émerge du tombeau dans le Jugement est composée, au moins graphiquement, des moitiés de deux personnages distincts …

… et puis l’idée que L’Ermite est un calembour visuel étant donné qu’un homme qui regarde sa lanterne s’aveugle au lieu de trouver quelque chose.


Ce calembour participe de l’essence même de l’Ermite. Mais il y a aussi bien des détails signifiants, comme l’androgynat du Jugement ou la canne/colonne vertébrale de l’Ermite, que d’autres qui ne le sont pas, pour participer à ce Lore.


Votre livre est plein de «sortilèges narratifs» géniaux. Je les appelle «sortilèges narratifs» parce que ces petites histoires valident un détail d’une carte mais en même temps sont elles-mêmes validées par ce détail, dans une sorte de boucle symbiotique. Mais ces petits récits ne semblent pas se cumuler en un code cohérent qu’on peut lire à travers toute la séquence,


Ces petites histoires sont là pour rendre palpable et faire toucher du doigt, soit un état particulier de perception soit donner une grille explicative de certains vécus ou encore de mettre en valeur un détail. Elles ne s’additionnent pas, elles sont là comme des notes en bas de page.


et je suis un peu sceptique au sujet de leur validité historique.


Vous avez raison de l’être. Certaines histoires proviennent de mon stock d’expériences et je peux les valider, d’autres sont des visions venues de la mémoire du monde et celles-là se trouvent de temps en temps corroborées par d’autres personnes via d’étranges détours. Par exemple, j’ai reçu un mail me racontant que la «transe de la chenille» était, en forme simplifiée, un exercice des praticiens du phosphénisme ! J’en ai conclu que cette vision s’officialisait et serait bientôt patentée.


En premier lieu, ces descriptions ne sont pas trouvés dans des livres. Elles sembleraient s’être répandues de bouche à oreille. Ce que je veux savoir donc, quelle est votre position par rapport à ce Lore?


Depuis 150 ans, et il n’est guère plus vieux que ça, ce Lore s’alimente au mieux des visions, au pire des analyses et des élucubrations de ses meilleurs communicants. Les transmissions traditionnelles de bouche à oreille sont interrompues depuis des centaines d’années. Reste la mémoire du monde, cet étrange phénomène source est le cadeau que le Tarot fait à ses vieux amants. La mémoire de Jean Noblet ou Jean Dodal est toujours présente, le chemin d’accès est déblayé, ces antiques maîtres peuvent encore vous inonder de leur être et de leur spiritualité. C’est à nous de nous relier. Les histoires venues de la mémoire du monde ont une incomparable saveur qui vous entraîne dans un état de conscience ou le doute n’existe pas. Alors intervient la transmission directe; c’est le talent du conteur. En tant que lecteur de Tarot, vous entrez souvent en vision et vous savez la faire partager. Vous êtes donc déjà dans ce talent.


Est-ce que ces traditions et usages forment une partie de l’enseignement des Compagnons,


Oui, la transmission directe a fait partie de l’enseignement des Compagnons aux temps jadis! Aujourd’hui les jeunes générations sont assoiffées d’histoires car ce sont elles qui nous relient. De toute manière, ils doivent s’en contenter. Quel autre choix ont-ils, c’est ça ou rien. A eux de bien choisir.


ou sont-ils un embellissement de la façon dont nous décrivons les images qui s’est rajouté plus tard? Pensez-vous que telles traditions auraient pu influencer le dessin des images eux-mêmes?


Les détails signifiants étaient transmis et utilisés, les autres détails nourrissant le Lore sont intellectuels et tardifs, la plupart datant du milieu du XXème siècle.


J’aime beaucoup ce Lore. De fait, à un moment j’ai mentionné à Roxanne qu’une des raisons pour laquelle j’aime travailler avec le Dodal plus qu’avec le Noblet est précisément par ce que plusieurs de ces notes de bas de page ne peuvent pas être observées dans le Noblet.


Noblet est un peu «pète sec» et avare de détails tandis que le graveur de Dodal est plus «petit Jésus en culotte de velours» et ses détails sont nombreux et riches de créativité! Comparons leurs deux filles de l’Etoile. Noblet la fait, mi-pucelle / mi-homme, pour présenter l’aspect pureté-virginale/force-mature du maître, c’est une définition très stricte et masculine du canon. Dodal la fait enceinte pour insister sur l’aspect transmission des essentiels, et il lui donne le double regard pour signifier qu’elle comprend les choses tant superficiellement que de l’intérieur, c’est une définition souple et très féminine de la maîtrise.

Femme (détail) de la carte de L’Etoile du Tarot de Jean Noblet (Paris 1650

Editions letarot.com

Femme (détail) de la carte de L’Etoile du Tarot de Jean Dodal (Lyon 1701)

Editions letarot.com


Cela mène à ma prochaine question: vous faites des distinctions entre le Noblet, Dodal, et Viéville et les autres jeux dans la tradition Marseillaise. Pour vous, le Dodal est le dernier jeu de la tradition de Marseille dans lequel les détails étaient délibérément installés.


Oui.


Alors, pour l’oeil non formé, comme le mien, quand il s’agit de certains détails le Dodal ressemble plus au Conver que le Noblet. C’est le Noblet qui me semble dépareillé/bizarre.


C’est exact, pour moi aussi. Je crois que nous avons déjà répondu en partie : c’est le Marseille Lore! Noblet en fait partie indubitablement, mais de loin et d’étrange manière, avec lui on a l’impression d’un ancêtre venu d’une autre planète! On voit bien que l’enseignement de base est le même, mais ils n’ont pas eu visiblement le même prof.


Comment arrivez-vous à percevoir de telles distinctions entre le Dodal et les jeux qui l’ont suivi?


Le graveur de Dodal sait de quoi il parle, soit par expérience, soit par transmission, soit, et c’est ce que je pense, les deux. Après lui, tout est figé, au mieux on parle des choses, parce qu’on en a entendu discuter. C’est la «souvenance». Mon cousin m’a dit que son frère a entendu raconter ci, ça. Tant que le graveur n’a pas vécu le processus intérieur de transformation jusqu’à la maîtrise, il ne sait pas vraiment de quoi il parle, il ne peut que copier. Dans le domaine du chemin intérieur, vous le savez certainement, les acteurs se repèrent entre eux. Le «frère spirituel» est détecté au parfum vibratoire qu’il dégage. Avec Noblet et Dodal, je me sens du même monde, pas avec Conver en encore moins avec les suivants. Je connais par coeur leur monde mental et permettez-moi de vous dire que je suis bien content d’en être débarrassé.


Enfin, je n’aimerais pas terminer cette interview sans savoir: quel sera le prochain? J’imagine qu’en ce moment vous êtes prêts à vous reposer un peu, et vous réjouir de l’accomplissement énorme que vous avez fait, mais qu’est ce que vous allez faire quand vous vous sentirez prêts à reprendre?


Viéville, si j’arrive à me sortir du profond dilemme dans lequel je baigne. J’ai l’intime conviction que ce Tarot a été fait «en miroir», par nécessité, par impossibilité de faire autrement, et non pour donner une signification particulière. Alors pourquoi perturber et embrouiller les jeunes générations avec tous ces arcanes conformes au Marseille Lore pattern, mais en sens inverse! Ça me brouille l’écoute! Quant aux 5/6 arcanes hors canon, ils justifieraient à eux seuls l’effort! Ces «exceptions» confirment la règle et sont l’intérêt majeur de ce Tarot. La question mériterait que nos amis historiens et passionnés mènent une réflexion. Comme vous j’aime le «Marseille Lore» et je souhaiterais éditer le Viéville dans le sens et l’ordre du canon. Ce serait là un acte illicite. Aurais-je le courage de me faire massacrer par les puristes ?


* Un graveur agé de 25 ans nommé CLAUDE MERME né à CHAMBERY et d’une famille de Maitre Cartier de CHAMBERY

(Son père s’appellait JOSEPH MERME) déclare lors de son mariage (qui a lieux le 03 avril 1714); avoir travaillé pour JEAN & JEAN PIERRE PAYEN à AVIGNON.

Il déclare aussi avoir travaillé pour un autre Maitre cartier JEAN-JOSEPH REVEST à CARPENTRAS.

A la date de son mariage, il travaillait pour un autre Maitre cartier d’AVIGNON, ETIENNE BLATEROND.

JEAN PIERRE PAYEN et BLATEROND confirment ses dires ce jour là.

SOURCES: Archives Départementales du Vaucluse. Etude Charrasse.


Le Pèlerinage de l’Âme…


L’entretien qui suit a été publié en anglais sur l’Aeclectic Tarot Forum et mené par Bonnie Cehovet il y a plusieurs années d’ici.


Entretien avec Jean-Claude & Roxanne Flornoy.

Par Bonnie Cehovet.


J’ai récemment eu le grand honneur de rencontrer le travail de l’historien Français du Tarot, Jean-Claude Flornoy. Son œuvre comprend des restaurations colorées à la main, au pochoir, des 22 arcanes majeurs du Tarot de Jean Noblet (Paris, 1650) et du Tarot de Jean Dodal (Lyon, 1701), ainsi qu’une récente réalisation, la complète réédition des 78 cartes du Tarot de Jean Noblet, considéré comme le plus ancien Tarot du style Marseille. Il s’agit d’un projet plus impressionnant qu’on pourrait le croire, car il a eu le défi de recréer des cartes manquantes du jeu – les six à dix d’épées. Leur création est tout à fait en accord avec le reste du jeu – bien étudiée, et d’excellente qualité.

Jean-Claude possède également un site internet en français sur son travail, que Roxanne Flornoy a traduit avec beaucoup de talent et de perspicacité en anglais.

Le podium est maintenant remis à Jean-Claude et Roxanne!

Bonnie Cehovet: Jean-Claude, je dois dire que j’admire beaucoup votre travail. Comment avez-vous commencé à vous intéresser au Tarot?


Jean-Claude Flornoy:


J’ai acheté mon premier Tarot, un Paul Marteau, quand j’avais 18 ans. J’ai aussi essayé de lire le livre de Marteau. Après 20 pages je l’ai abandonné car incompréhensible. À l’âge de 33 ans, j’ai poursuivi une récapitulation (exercice axé essentiellement sur la mission de l’Arcane XIII, trouver et purger la charge du passé, libérer de l’énergie pour le présent et l’avenir), et une carte de Tarot accompagnait chaque jour des trois semaines que j’ai passées avec le thérapeute. Je lui avais déjà expliqué que j’étais totalement désintéressé du tarot, que c’était trop compliqué. Il n’a pas été perturbé par cette remarque, mais voulait savoir si j’aimais les histoires qu’il racontait. Il avait un grand stock d’expériences et d’aventures à raconter; elles me fascinaient. Quatre ans et demi plus tard (1986), je me suis levé très tôt par un sombre matin d’hiver et, tout en buvant mon café, le Tarot, sa représentation de chacune des étapes de l’existence, devint tout à coup cohérente. Cette vision, décrite dans mon texte, le Pèlerinage de l’âme, est restée mon approche de base pour le Tarot et c’est ce qui me motive à le voir comme un outil inestimable pour l’évolution spirituelle.

Qu’est-ce qui vous a poussé à commencer l’étude de la tradition française du Tarot de Marseille, et à poursuivre avec la réédition des Tarots de Jean Dodal et de Jean Noblet?


Dans le tarot j’ai trouvé une présentation Occidentale d’un itinéraire intérieur basé sur une perception cyclique du temps, de la mère (Platon) et de la femme (la «vieille religion»), par opposition au temps linéaire du père (Aristote), repris par le Christianisme. La tradition française du [Tarot] « de Marseille » est porteuse et de manière ininterrompue de ce que l’on pourrait appeler une vision chamanique du monde. Le Tarot a assimilé cette information essentiellement païenne et l’adaptait à un monde chrétien. Ce n’est peut-être que pour cette raison qu’il a survécu. C’est la seule tradition Européenne «native» encore vivante, du moins, dans sa forme originale. Depuis que ce support persiste, il porte avec lui la possibilité de ré-pénétrer l’âme des anciens maîtres. Ces cartes sont un lien vers eux, et constituent une sorte d’accès magique à leurs connaissances. Ré-éditer les Tarots de Jean Noblet et de Jean Dodal permet à cette tradition de rester en vie et active dans le monde d’aujourd’hui.


Vous présentez, sur vos sites et dans les brochures qui accompagnent vos jeux, votre travail sur le Pèlerinage à travers les arcanes majeurs, appelé le «Pèlerinage de l’Âme». Pouvez-vous nous dire comment vous voyez ce Pèlerinage, et pourquoi les cartes «passerelles» sont si importantes?


Le Pèlerinage est le voyage que chacun de nous entreprend, qu’il le veuille ou non. Suivre un chemin vers la connaissance implique que la conscience accompagne le processus. Rester autant que possible hors du brouillard aide à rester concentré. Le Tarot présente les phases successives de l’existence et s’adresse à l’inconscient à travers des images. En méditant sur les images de ces maîtres, et ce ne sont que celles qui peuvent fonctionner, peu à peu prépare l’ensemble des forces psychiques (conscientes et inconscientes) à vivre et à intégrer une perspective toujours plus large sur la façon dont nous existons dans les mondes qui nous entourent. La carte passerelle transmet l’atmosphère générale d’une phase. Il ne devrait surprendre personne que la période de l’apprentissage de la vie devrait commencer sous le signe de « L’Amoureux ». La phase mature de la vie commence avec « La Force », où nous nous construisons dans le monde social par une profession, une maison ou une famille. Cela conduit à une ouverture progressive à son monde intérieur, (Le Pendu et La Mort). Nous sommes encore dans le monde social, mais d’autres préoccupations apparaissent. Les nécessités du monde intérieur sont progressivement mises en équilibre avec celles de la sphère extérieure. Avec « Tempérance », il me semble qu’ici les réels choix de vie viennent au premier plan; on suit les indications du cœur et du radar personnel. Les passerelles sont indispensables pour l’initiation dans chaque phase. Si le cœur ne s’est jamais ouvert, l’apprentissage à la vie ne peut commencer, et la personne restera dans un état d’enfance: le «nous» collectif et familial. L’individuation ne peut être accomplie qu’une fois que la phase de « L’Amoureux » a été vécue. La maturité (ou compagnonnage – un professionnel reconnu pour sa compétence) n’est accessible qu’avec un passage de « La Force », où le savoir-faire est établi.

Cela se transforme, au fil de la phase de Maîtrise, en savoir-être, la porte de « La Maison Dieu », signe le passage dans l’autre monde de la réalité: on est littéralement né à nouveau (compagnon re-né). A partir de ce stade, tout se passe dans cet autre monde. Cette organisation structurelle me séduit. D’autres peuvent la trouver trop structurelle. Mais pour moi, ma compréhension soudaine du Tarot est arrivée sous cette forme, des étapes fines et précises comme des tranches, des périodes que je pourrais dater, avec un début et une fin. C’est le travail des anciens maîtres que j’ai intégré de cette manière. Leurs images parlent plus que tout ce que je pourrais imaginer créer moi-même.

Pouvez-vous nous dire quel a été le processus de recréation des six à dix d’épées manquants pour le Tarot de Jean Noblet?


J’ai regardé les quelques dessins contemporains encore accessibles, et étudié l’iconographie du jeu lui-même. Une variante de la fleur sur le quatre d’épées a été utilisée à nouveau sur le six recréé. C’était habituel dans les jeux à cette époque. Les petites fleurs des cartes d’épées existantes étaient une inclusion évidente. Le grand facteur de chance était qu’aucune des cartes de Cour ne manquait. S’il avait été nécessaire de retracer l’une d’elles, je ne pense pas que j’aurais entrepris la réédition de ce jeu.

Note: je considère comme un grand cadeau pour le monde du Tarot que les cartes de Cour étaient intactes, de sorte que nous avons maintenant ce jeu formidable pour travailler avec lui!


Toutes les sections de votre site m’ont fascinées, mais une s’est surtout distinguée – la section sur Maître Jacques, fondateur des Compagnons. Pouvez-vous nous parler un peu de ce monsieur et des Compagnons ?


Maître Jacques est le fondateur mythique de la voie spirituelle et pratique de la connaissance connue en France comme compagnonnage. La légende lui attribue la construction du premier Temple de Jérusalem, celui de Salomon, vers 800 av JC. Maître Jacques reste la Personne Symbolique des Compagnons jusqu’à ce jour. Les secrets de la façon de discerner et d’utiliser les forces qui émanent de la terre avaient continué à être transmis, même dans les temps les plus troublés, de la période mégalithique. Le but des constructeurs du début du Moyen Age était de rendre ces forces terrestres bénéfiques à l’homme. Ils se considéraient comme des constructeurs de machines pour la transmutation des êtres humains. C’est là le but auquel ils consacraient leur science. Les églises romanes du 12ème siècle, si elles n’ont pas été modifiées, restent opérationnelles. Elles captent encore l’énergie tellurique qui est particulièrement forte sur ces «points nodaux» choisis, et irriguent les personnes à l’intérieur de l’édifice avec leur vitalité. Au moment de leur construction, des cérémonies qui ont conduit toute l’assemblée dans une transe collective de guérison et de sensibilisation ont été tenues dans ces «machines». Notant (et craignant) l’intensité de cette dynamique, les premières puissances religieuses y voyaient une véritable menace et mirent fin à de telles pratiques au début du XIVe siècle. Les Templiers n’étaient plus là pour protéger et financer les projets des constructeurs, et la plupart des Compagnons ont fui le pays avec l’Inquisition. J’ai expliqué sur mon site la façon dont je pense que ces constructeurs exilés ont voyagé, d’abord au Moyen-Orient, puis au fil du temps, de retour en France par l’Italie. Les images du Tarot sont tirées de la connaissance de ces professionnels errants. Les créateurs d’images et les sculpteurs de l’époque précédant l’Inquisition sont les pères spirituels et techniques des anciens maîtres du Tarot.


Jean-Claude, vous êtes un « cartier-enlumineur ». Pouvez-vous expliquer ce que c’est, et ce que vous faites?


Un cartier est un fabricant de cartes. Un enlumineur est quelqu’un qui «met en couleur» ou «met en lumière». Une enluminure évoque principalement la calligraphie sur parchemin avec des lettres capitales peintes, colorées et des décorations – les anciens manuscrits. Mais l’enluminure au sens large couvre tous les types d’application artisanale de la couleur. Le pochoir à la main a été la méthode utilisée pour les éditions des majeures uniquement des Tarots de Jean Noblet et de Jean Dodal.

Jean-Claude, où vous voyez-vous aller à l’avenir avec le Tarot?


Si les résultats de la distribution de l’édition complète du Tarot de Jean Noblet sont encourageants, j’ai l’intention de continuer avec l’un des trois autres jeux les plus dignes de résurrection: Jacques Viéville, Jean Dodal ou Nicolas Conver. En attendant, je termine le travail sur un livre (en français) prévu pour septembre. C’est un développement prolongé du «Pèlerinage de l’Âme».

Note: j’aimerais bien voir une traduction anglaise de ce livre. J’envoie des pensées à l’Univers que cela puisse être!

Roxanne, vous avez joué un rôle très important pour rendre le travail de Jean-Claude disponible pour les amateurs anglophones du Tarot. Je tiens à vous remercier d’avoir fait cela. Cela a ouvert un monde qui autrement n’aurait pas été ouvert aux amateurs non-francophones du Tarot. La version anglaise de votre site est assez bien faite. Comment vous êtes-vous sentie à l’idée de diriger ce projet et qu’est-ce que cela a signifié pour vous?


Roxanne Flornoy:


Je n’avais eu aucun contact avec le Tarot avant de traduire le « Pèlerinage de l’Âme » de Jean-Claude. Ce texte, déjà une synthèse dense d’années de réflexion, était un exercice intimidant de compréhension et de précision. De là, il semblait évident que le site français avait besoin d’une version anglaise, même si c’est dans le monde anglophone qu’il y a le plus d’activités et d’informations concernant le Tarot. Cela dit, on a accordé relativement peu d’attention aux Tarots de Marseille, et la majorité de cette attention a été centrée sur les dérives de la fin du XIXe siècle très éloignées des matériaux anciens. Ce n’est que naturel, car ces références ont été longtemps inaccessibles. Participer à la réintégration de ces jeux dans le paysage du Tarot, spécialement depuis que le Tarot de Jean Noblet au complet est devenu disponible, est une belle aventure. Je découvre l’étendue de l’intérêt du Nouveau Monde pour ce que l’Ancien Monde peut fournir avec respect des sources. Sortir le matériel des musées et d’autres dépôts peut nécessiter de la persévérance. Il faut avoir une bonne raison pour entrer dans le Cabinet des Estampes à la Bibliothèque Nationale (une sorte de Fort Knox Culturel), et pour un immigrant du Nouveau Monde c’est un exploit en soi.

Puisque le Tarot parle par des images, c’est par une transition naturelle que j’ai étendu du verbe au domaine des couleurs et du papier, mes autres affinités fondamentales. J’ai appris à utiliser le pochoir avec un adepte de longue expérience, et ai sortis les deux dernières éditions du Dodal ‘dans la lumière’ moi-même. C’est une activité nécessitant persévérance et attention, important en ce que les couleurs elles-mêmes et leur placement sont au centre de la manière dont l’inconscient appréhende les images. Il est satisfaisant de réinvestir les lignes des anciens maîtres avec la couleur vivante dont elles ont besoin pour devenir réellement opérationnelles une fois de plus.

Cette question s’adresse aussi bien à Jean-Claude qu’à Roxanne: pouvez-vous nous parler un peu de votre travail avec les écoliers et de votre atelier sur les méthodes d’impression et de coloriage?


Jean-Claude & Roxanne Flornoy:


La plupart des groupes qui nous visitent ont demandé l’atelier d’enluminure au pochoir. On rappelle d’emblée que les ateliers des XVIIe et XVIIIe siècles utilisaient souvent le travail des enfants pour les travaux de coloration, mais que vu que depuis, les jeunes gens sont mieux nourris et moins surchargés de travail, ils peuvent s’attendre, avec une certaine attention, à fournir une meilleure qualité que leurs aïeux . Et ils le font. Il n’est pas si facile d’obtenir une mise au pochoir la plus nette possible, mais les niveaux moindres donnent de bons résultats. Depuis que le « fabriqué en Chine» semble être sur toutes les étiquettes de nos jours, nous soulignons également que ce n’est rien de nouveau. Le papier nous est venu de Chine (inventé là-bas environ en l’an 105 avant JC), par les Routes de la Soie et les Croisades. Les Chinois avaient développé le type mobile dans le bois longtemps avant que l’employé de M. Gutenberg ait suggéré de le faire dans le métal. Nous avons une variété de blocs de bois à montrer, ainsi que des exemples de papier parchemin et fabriqués à la main à base de textile. L’industrie de la carte était très importante à un moment donné, et les enfants voient les types de cartes aux coins carrés, cartes aux dos totalement blancs qui ont été utilisées comme cartes de visite une fois qu’elles n’étaient plus assez fraiches pour les jeux de paris. Au Musée de la Ville de Paris, le Musée Carnavalet, il y a une carte de Roi de Coeur où il est inscrit sur le dos un ordre pour la destruction de la Bastille. D’autres portent l’invitation du roi d’être présents à sa levée – il semble que l’autorisation de le regarder se lever du lit était un grand honneur. Les préliminaires accomplis, les enfants travaillent sur les agrandissements de 3 cartes du Dodal. Ils doivent placer le pochoir exactement et ne pas le laisser bouger. Le pinceau doit être aussi sec que possible, mais suffisamment mouillé pour appliquer la gouache. Après avoir fait la série de 6 couleurs, une deuxième carte, agrandie d’un jeu conventionnel produit localement (1792), semble un instantané avec ses 4 couleurs. Il n’est pas nécessaire de leur expliquer que la mise au pochoir était un moyen de produire en masse des estampes colorées à un moment où la seule alternative était toujours coûteuse de peindre à la main avec une brosse. Ainsi, « L’Ermite de Dodal, L’Empereur et La Papesse » sont rentrés à la maison avec beaucoup d’enfants à ce jour.

Cette question s’adresse aussi bien à Jean-Claude qu’à Roxanne. Y at-il quelque chose que vous souhaiteriez que nos lecteurs sachent sur le travail que vous faites, ou sur le Tarot et comment il se rapporte à nos vies en général?


Jean-Claude & Roxanne Flornoy:


Nous sommes heureux que la diffusion de ces nouveaux « vieux jeux » rendra le matériel viable et authentique disponible à une sphère beaucoup plus large des amateurs de Tarot.

je voudrais remercier à la fois Jean-Claude et Roxanne Flornoy pour avoir pris le temps de se joindre à nous dans cette interview. Les sites de Jean-Claude méritent d’être visités … en effet, vous y retournerez encore et encore!


Bio: Jean-Claude Flornoy est né en 1950 à Paris. Il a étudié la philosophie et travaillé 15 ans comme potier-céramiste. Toujours pendant cette période, il a participé à la création de plusieurs centrales hydrauliques. Il a consacré 20 ans à l’étude du Tarot. En 1996, il entreprend la restauration du Tarot de Nicolas Conver (Marseille, 1760), peignant chaque arcane sur des toiles géantes (220 cm sur 110 cm). Son but était de rendre fidèlement cette imagerie traditionnelle à la vie (plus grande que la vie) dans toute sa fraîcheur originale. Il a progressé alors vers de grands formats d’autres Tarots historiques dérivés des originaux conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris : Jean Noblet (Paris, vers 1650), Jean Dodal (Lyon, 1701) et un certain nombre d’atouts de Jacques Viéville (Paris, vers 1650).

C’est en passant les semaines nécessaires sur chaque arcane « grandeur nature » qu’il a été capable de «comprendre» la manière dont les images sont opératives en elles-mêmes. Il transporte régulièrement ces grandes toiles pour des expositions et propose des ateliers de conférence dans une variété de contextes liés au Tarot.

L’étape suivante consistait à publier, dans des versions traditionnelles au pochoir couleur, les 22 atouts des Tarots de Jean Noblet et de Jean Dodal. Celles-ci sont destinées correspondre à tous égards au plus près possible de ce à quoi elles ressemblaient quand elles étaient nouvelles.

À un pas des productions artisanales, mais en orientant les vieux Tarots vers un public plus large, un industriel, complet, du Tarot de Jean Noblet vient d’être publié.


Bio: Roxanne est née et a grandi à Manhattan. Éducation des arts libéraux, avec un penchant pour l’anglais. Elle se sent heureuse d’avoir atteint la maturité à la fin des années 60 (ils n’ont pas envoyé des filles au Vietnam, au moins). Elle a finalement quitté la ville pour la campagne, où elle a passé 3 années jardinant intensément, ne semblant jamais aller nulle part sans une brouette. Alliée à un percussionniste, elle quitte les Etats-Unis en 1973 sans se retourner. En Europe, elle a passé 15 ans en tant que machiniste / interprète / organisatrice dans le monde de la musique. Trois enfants, beaucoup d’école à domicile, plus de jardins. Son français est devenu assez bon pour le traduire en anglais, alors elle a poursuivi dans les traductions, et a aidé à créer la bibliothèque locale. Maintenant, elle est encore en train de traduire, a appris le pochoir, espère devenir compétente en Tarots, continue de jardiner, et est reconnaissante pour la variété qui a épicé sa vie.

© Bonnie Cehovet

Bonnie Cehovet est certifiée Grand Maitre Tarot, lectrice de Tarot professionnelle avec plus de dix ans d’expérience, un Maître / Professeur de Reiki et une écrivaine. Bonnie a occupé divers postes au sein de l’American Tarot Association, co-fondatrice du World Tarot Network et vice-présidente (ainsi que directrice de la certification) de l’American Board for Tarot Certification. Ses articles apparaissent dans le Llewellyn Tarot Reader en 2004 et 2005.


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