Collectionneur, chercheur et historien de la carte à jouer et des tarots, également Membre Honoraire et Chairman de l'International Playing-Card Society et président de l'association "Le Vieux Papier", Thierry Depaulis a participé à divers reportages et a rédigé maints articles et ouvrages sur la carte à jouer et les tarots faisant autorité en la matière.
Pour le propos qui nous occupe ici, vous pouvez également lire sur Academia (après une inscription rapide et gratuite) divers articles de sa plume, dont "The Tarot de Marseille - Facts and Fallacies Part I" et "The Tarot de Marseille - Facts and Fallacies Part II".
Catalogue « Tarot, jeu et magie » publié en 1984 à l’occasion de l’exposition éponyme.
Alain Jacobs :
Sur quoi s’appuie-t-on pour retracer l’histoire des Tarots?
Comme tout sujet d’histoire, sur des documents d’époque, « de première main » si possible, dûment examinés, lus (pour les textes), relus…, regardés (pour les cartes), re-regardés, confrontés, critiqués. Les ouvrages qui donnent des reproductions sont les bienvenus (merci Kaplan !), ceux qui publient des transcriptions d’archives ou de textes anciens sont aussi appréciés. (On ne peut parcourir le monde entier pour aller voir deux cartes à Toronto et vérifier une archive à Milan…).
Bref, l’histoire du tarot n’est pas différente de l’histoire tout court. Elle se construit avec méthode – la méthode historique, qu’on apprend à l’université ou qu’on peut retrouver par soi-même. Cette méthode a souvent été comparée, à juste titre, avec… l’enquête policière.
Pour le tarot, les documents ne manquent pas ! Cartes – du XVe au XXe siècle (beaucoup pour le XVe : les fameux tarots « enluminés ») –, archives, textes littéraires.
Si je voulais personnellement m’amuser à la reconstituer, comment pourrais-je m’y prendre?
Outre l’acquisition de quelques bases de méthode historique (voir plus haut), je mettrais le nez d’abord dans les « classiques », à commencer par le livre de Michael Dummett, The Game of Tarot (Londres, 1980), le catalogue Tarot, jeu et magie (Paris, 1984), les Kaplan I et II, etc. Puis j’irais vérifier sur « le terrain » certains faits : ne pas hésiter à aller fouiller dans les bibliothèques les plus « gardées » (en fait, ces bibliothèques, qui ont l’air d’autant de citadelles, sont toujours ravies d’accueillir des chercheurs d’où qu’ils viennent) ; dans les archives les plus complexes (oui, les archives, c’est compliqué – problèmes d’orientation, car il n’y a jamais de catalogue détaillé, et de… lecture des documents : on n’écrivait pas au XVe ou au XVIe s. comme aujourd’hui, etc.). Mais si on ne fait pas ça, on dépend entièrement des autres, et on n’apporte rien à la recherche.
La connaissance de plusieurs langues – italien au premier rang, français, anglais, allemand sans oublier… le latin – est indispensable.
Aujourd’hui encore, comme vous le soulevez fort justement (notamment dans le reportage: « Tarot, le dessous des cartes »), on ne voudrait voir que le Tarot dit (ou franchement) de Marseille.
Quelles sont les autres Traditions des Tarots à ne pas négliger?
Oui, il y a une focalisation aveugle sur le Tarot « de Marseille », au point que ceux qui ne veulent voir que lui (« tarotistes » et « tarologues ») ont « colonisé » l’entrée ‘Tarot’ de Wikipédia (français) pour l’intituler ‘Tarot de Marseille’ ! Comme si le Tarot « de Marseille » était tout le tarot ! (Laissant croire que c’est là l’archétype.)
Michael Dummett a montré qu’en Italie, berceau du tarot, dès les premières années de la diffusion du jeu à partir d’un foyer unique, trois « branches » ou « écoles » s’étaient formées, caractérisées par des ordres des atouts légèrement différents. L’une de ces « écoles » peut être localisée à Florence (et Bologne), l’autre à Ferrare, la troisième à Milan. Dummett les a nommées « ordres » A, B et C. L’ordre A se retrouve à Florence (le minchiate) et à Bologne (où l’on joue encore aujourd’hui), puis s’est diffusé vers le Sud, jusqu’en Sicile (le tarot sicilien en porte encore la trace). L’ordre B semble s’être limité au Nord, à partir de Ferrare : on le trouve à Venise et à Trente. L’ordre C paraît centré sur Milan et le Milanais. C’est à lui que se rattache le Tarot « de Marseille ». Ce dernier n’est donc qu’une branche parmi les trois (voire quatre : il y a une branche « savoisienne », hybride A et C, qui a survécu longtemps en Savoie et Piémont, unis en un seul pays jusqu’en 1860).
Et même en France, on ne peut négliger la tradition du Tarot « belge » (dite aussi « Rouen/Bruxelles »), disparue au XVIIIe siècle sans laisser beaucoup de trace. Iconographiquement, elle est très différente de celle du Tarot de Marseille. Sa circulation reste mystérieuse.
Pour moi, la branche la plus importante, c’est la branche A. D’abord parce qu’elle s’est largement diffusée en Italie. Ensuite parce qu’elle a donné naissance à des variétés très spéciales : le minchiate florentin, très répandu au XVIIIe siècle (c’est LE tarot le plus joué en Italie alors, au point que les dictionnaires italiens expliquent ‘Tarocchi’ comme « une sorte de minchiate » !), le tarocchino bolonais et le tarot sicilien, encore (sur)vivants tous les deux. L’ordre A nous apparaît aussi comme le plus logique, car non seulement il met le Jugement (appelé l’Angelo en italien) au sommet (au-dessus du Monde), mais il groupe les vertus ensemble vers le bas de la série des atouts. L’ordre C (« Marseille ») est moins évident (et n’est pas attesté avant 1540 environ), l’ordre B (Ferrare) paraît encore moins cohérent.
La plupart des historiens s’accommodent mal d’un Tarot divinatoire et la majorité des adeptes de ce dernier semblent peu soucieux des faits historiques.
Ces deux aspects sont-ils réellement inconciliables?
Je pense que la première proposition est tout simplement fausse. Aucun historien du tarot ne néglige le volet divinatoire. Nous savons bien que celui-ci est tardif et arbitraire, mais il est un intéressant objet d’histoire. C’est pourquoi Michael Dummett, Ron Decker et moi-même avons publié le livre A Wicked Pack of Cards (Londres, 1996), suivi de A History of the Occult Tarot (Londres, 2002). Personnellement, je me suis toujours intéressé à… Etteilla.
Dans « Tarot, jeu et magie », on apprend que la carte de « La Maison Dieu » était à l’origine « La Maison de Feu » ou « La Maison du Diable »…
D’où vient cette affirmation?
Avec le tarot, il faut toujours en revenir à l’italien. Avant d’être francisés (à Lyon ?), les atouts ont été nommés en italien. Parfois, le français est le calque de l’italien, parfois, il s’en éloigne. (Ne pas oublier que, sur les tarots italiens, il n’y pas de cartouches avec les noms des atouts. C’est une innovation des Français.) Ainsi, la carte appelée en français, dans le Tarot de Marseille, « La Maison Dieu » porte en italien plusieurs noms (selon les « branches », les auteurs et les variétés locales de l’italien), signe de ce qu’on ne comprenait pas bien ce qu’elle représentait. On la trouve nommée « la Casa del Diavolo » dans deux textes plutôt littéraires, mais aussi « la Casa del dannato ». Cependant, son nom le plus courant est « La Saetta » (la foudre) : certains tarots français (non « Marseille ») l’appellent ainsi (Viéville, le Tarot « belge »…). On trouve aussi « Fuoco » (le feu – du ciel). Son sens n’est pas clair. C’est une lueur dans le ciel frappant un édifice en forme de porte ou de tour. Mais l’appellation française « La Maison Dieu » est clairement une erreur !
Puis-je dire que si les cartiers ont nommés cette carte de la sorte (La Maison Dieu), ce n’est pas par erreur ou par hasard, mais bien à dessein?
Je viens de répondre à cette question.
Je soupçonne une mauvaise lecture de « maison de feu », traduction littérale de « casa del fuoco »…
Je voudrais croire que les Tarots des Maîtres Cartiers des XVII et XVIII siècles (Jean Dodal, Jean Noblet, Jacques Viéville, Pierre Madenié,…) comportent quelque chose de particulier, de différent des autres Tarots; est-ce une croyance légitime et fondée?
Pour affirmer que certains de ces tarots ont « quelque chose de particulier », il faudrait disposer d’un corpus bien plus vaste. Or vous mentionnez, un peu en vrac, des tarots du XVIIe siècle (deux parisiens : Noblet, un TdM, et Viéville, un hybride) et du XVIIIe (Dodal, Lyon, TdM type I, Madenié, Dijon, TdM type II)… Je ne vois pas ce qui les unirait en « quelque chose de particulier » ! C’est donc, pour reprendre vos termes, une pure croyance, illégitime et totalement infondée. Sabre de bois !
Vous auriez opposé les couleurs des tarots du XVIIe siècle à celles du XVIIIe, vous auriez été mieux noté… ;-)
Ou encore, vous auriez souligné les différences entre Noblet, Dodal et Madenié, tous TdM, mais deux types distincts, vous auriez eu une meilleure note. :-))
Les systèmes de taxes et de contrôle fiscal n’ont-ils pas en leur temps nuit peu ou prou à la production et donc à la connaissance des Tarots?
J’ai d’abord pensé que la fiscalité n’avait rien à voir. Puis je me suis ravisé : à la réflexion, ce n’est pas complètement impossible. Dans plusieurs pays, les tarots sont plus imposés que les jeux de cartes ordinaires. Cela a-t-il pu influencer les acheteurs ? J’avoue ne pas avoir cherché dans cette direction, mais comment savoir ? (Il n’y a bien sûr aucunes statistiques avant l’extrême fin du XVIIIe siècle…)
Tous les Tarots font-ils partie de l’histoire des Tarots?
Euh, oui. A partir du moment où il y a des atouts (les « arcanes majeurs » des occultistes), quatre figures par couleur, l’ensemble est un tarot. Quel que soit son usage, ludique ou divinatoire. Se méfier des imitations ! Mlle Lenormand n’a jamais composé, publié ou même inspiré un tarot. Les jeux qu’on lui prête – le « Grand » et le « Petit » – sont entièrement apocryphes. Aucun ne peut être qualifié de tarot.
J’ai lu ailleurs que les Tarots à enseignes françaises ont été produits pour se dissocier des Tarots à enseignes italiennes (trop associés au tarot ésotérique)… est-ce le cas?
Non. Ce n’est pas pour se « dissocier des Tarots à enseignes italiennes (trop associés au tarot ésotérique) » que les tarots à enseignes françaises ont été inventés, pour la raison très simple que ces derniers apparaissent vers 1740 (à Strasbourg ?), alors que la lecture ésotérique du tarot ne se répand pas avant 1770 au plus tôt !
Cependant, il semble que les joueurs allemands, qui découvraient le tarot (venus d’Alsace) vers 1715/20, et en appréciaient les qualités ludiques, aient été gênés 1) par la complexité et la faible « lisibilité » des enseignes italiennes (épées et bâtons se confondent facilement), 2) par l’aspect un peu effrayant des atouts les plus « chargés » – Diable, Maison-Dieu, Mort, Pendu… – alors même que de simples numéros, éventuellement illustrés (animaux, costumes, paysages, etc.) faisaient parfaitement l’affaire. Dès que les tarots à enseignes françaises ont été disponibles, le succès du jeu a été considérable dans les pays de langue allemande. Sans que les règles changent !
Des jeux ou des documents pourraient-ils être découverts, refaire surface et que pourraient-ils changer de la perception que l’on a des Tarots?
Ah oui, sans doute ! La preuve : du temps de Dummett, l’ordre A n’était représenté, pour le XVe siècle, que par Bologne. Florence « n’existait pas » (aucun document avant 1500). Depuis 2005 environ, le dossier florentin a fait surface : c’est une avalanche de nouveaux documents d’archives (exhumés récemment par Franco Pratesi et… votre serviteur), entre 1440 et 1470 ! En outre, une historienne de l’art italienne a montré que les tarots Rothschild (au Louvre) avaient sûrement été peints à Florence (on les croyait ferrarais…), et j’ai découvert il y a peu la plus ancienne référence au tarot, 1440, dans le « journal » personnel d’un notaire florentin ! Tout cela nous oblige à reconsidérer les premiers pas du jeu et à replacer Florence au centre du débat.
D’autres découvertes, je l’espère, restent à faire !
Dans votre dernier livre « Le Tarot révélé », on peut prendre étonnamment conscience qu’au-delà de la divination (tarologie, taromancie,…) c’est bien à travers le jeu que le Tarot est toujours pratiqué et bien vivant de par le monde.
Je pensais l’avoir aussi dit de façon insistante dans le catalogue Tarot, jeu et magie… C’était aussi le message de Dummett, qui consacrait l’essentiel de son livre à l’histoire du jeu. Son dernier livre, en 2004, porte entièrement sur l’évolution des règles du jeu.
« Le Tarot révélé », (2013) de Thierry Depaulis pour l’exposition éponyme, en Suisse
Le jeu est-il gage de pérennité du Tarot ou pourrait-il évoluer autrement?
Aujourd’hui, ne nous voilons pas la face, si le tarot est connu dans le monde entier, de Surabaya (Indonésie) à Archangelsk (Russie), et de Houston (Texas) à Maputo (Mozambique), c’est dans sa version ésotérique. Quand on explique à un Américain ou à un Japonais lambda (ou même à un universitaire français…) que ces cartes servent aussi à un jeu, ils tombent des nues. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Je ne sais.
Le jeu ne se porte pas si mal. Il se réveille sérieusement en Europe centrale. On voit même des toqués japonais ou américains former des cercles de tarot pour jouer… Ils mélangent parfois les troccas (tarot des Grisons en Suisse) avec le tarot français moderne ou le Tarock autrichien, ajoutent quelques variations à eux, et ça peut donner quelque chose d’étonnant. Pour le jeu, c’est, en effet, un espoir de survie. Pour la divination, je n’ai pas d’inquiétude : elle prospère.
REGLES DV IEV DES TAROTS:
(BnF, Mss., Dupuy 777, f° 94-97)
Attribuées par Thierry Depaulis à Michel de Marolles, abbé de Villeloin, inspirées par la princesse Louise-Marie de Gonzague-Nevers, rédigées à l’été 1637, aussitôt imprimées à Nevers par Jean Fourré et conservées au département des Manuscrits de la BnF.
Voir « Quand l’abbé de Marolles jouait au tarot » de Thierry Depaulis sur Academia.
Ce jeu qui est composé de soixante & dix-huict Cartes, se peut distribuer en cinq
bandes (35), la première & la plus noble de toutes appellée triomphes (36) qui sont au
nombre de vingt-deux : & les quatre autres couleurs sont nommées d’espées, bastons,
couppes & deniers, chacune desquelles a quatorze cartes : Sçauoir le Roy, la
Royne, le Cheualier, & le Faon (37), qui s’appellent aussi les quatre honneurs & le reste
depuis le dix iusques à laz, n’ayant pas peu de rapport à ces petites gens de la lie du
peuple, qui sont beaucoup plus à charge qu’à plaisir, principallement quand il s’en
rencontre de toutes les liurées auec peu de triomphes : Car alors les Roys mesmes auec
leurs Amazones ny tout leur empire ne peuuent empescher vne ruine entiere au joüeur,
qui n’auroit peu flechir les autres à refaire.
La beauté de ce jeu est d’auoir force triomphes & principallement les hautes auec
le Monde, le Math, & le Bagat (38), & quelques Roys : par ce qu’auec les triomphes on
surmonte tous les efforts des quatres [sic] peintures (39), quand on y fait des renonces
(40).
Et par le moyen du Monde, Math, & Bagat, & les Roys, on se fait payer autant de
marques de chacun que lon en peut leuer en joüant, à cause de quoy on les nomme
Tarots par excellence. Et toutes les fois qu’ils paroissent dans le jeu, il leur faut payer le
tribut ou eux mesmes sont contraints de payer la rençon s’ils tombent entre les mains
de leurs ennemis, c’est à dire que celuy qui les perd donne vne marque à chacun.
Mais auant que d’entrer plus auant dans le destail de ce jeu, il me semble a propos
de dire qu’il n’y faut estre que trois personnes au plus, & qu’il n’est pas fort agreable a
deux, estant mesme encore necessaire d’y en supposer vn troisiesme que l’on appelle le
Mort, duquel l’on tire selon le hazard autant de cartes que les autres font de mains (41)
pour estre emportées par celuy qui est le plus fort. Neantmoins ceux qui l’ayment
extresmement s’y peuuent quelquefois diuertir de la sorte.
Mais afin de le trouuer plus agreable il est bon d’oster douze cartes inutiles des
quatre peintures, c’est a dire trois de chacunes, sçauoir les dix, neuf, & huict des
couppes & deniers, & les trois, deux & az d’espées & bastons qui sont les moindres de
chacun de ces points, par ce que les hautes de couppes & deniers ne sont pas de plus
grande valeur que les basses des Espées & bastons (42).
Et ainsi comm’il faut distribuer toutes les cartes entre les joüeurs, il en demeurera
vingt-quatre a celuy qui faict, & vingt & vne a chacun des autres. Cette vne, & ses
quatre de plus que les vingt estant pour faire les escarts, sans toutesfois qu’il soit
loysible d’escarter aucun des sept Tarots, ou des triomphes sur peine de deux marques
a chacun.
Que si l’on escarte mal ou que l’on n’escarte point du tout, il faut donner vne
marque a chacun, & ne plus rien compter.
Si l’on donne mal tout de mesme, on perd le coup, & les cartes ne se peuuent donner
que trois a trois ou cinq a cinq. Et n’est pas permis de les regarder sinon celle de
dessous sur peine d’vne marque a chacun.
Que s’il se trouue vn Tarot sous la main de celuy qui donne, il luy vaudra vne
marque de chacun.
Au reste il n’est non plus permis de renoncer a ce ieu qu’à tous les autres ieux de
carte [sic] sur peine d’vne marque a chacun & de ne plus rien compter, si toutesfois
l’on ne recognoist sa faute en leuant la seconde main d’apres : Mais si par mégarde ou
autrement l’on iette sur la table vne carte qui ne soit point de renonce on ne la doit plus
retirer.
Celuy qui à [sic] laz de deniers appellé la carte de la belle gaigne vne marque de
chacun en la joüant soit qu’on la perde ou qu’on ne la perde pas.
Trois Roys valent vne marque de chacun.
Quatre Roys valent quatre marques de chacun a cause de l’Imperiale & des quatre
Tarots, autrement si l’on vouloit compter cinq ou six Tarots, lesdicts quatre Roys ne
valent que trois marques.
Deux Roys & le Math gaignent vne marque de chacun.
Trois Roys & le Math deux.
Quatre Roys & le Math six.
Le Monde, le Math & le Bagat, trois.
Quatre Tarots, vn.
Cinq Tarots, deux.
Six Tarots, trois.
Sept Tarots, quatre.
Les sept Tarots & la belle, cinq.
Si quelqu’vn n’a l’vn des trois Tarots, Monde, Math, & Bagat, il paye vne marque a
celuy qui en a deux, & cela s’appelle qui n’a le sien.
Dix triomphes valent vne marque de chacun.
Quinze triomphes, deux.
Vingts triomphes, trois.
Qui a les quatre honneurs de chaque point ce qui s’apelle Imperiale gaigne vne
marque de chacun.
Qui a les quatre Roynes les quatre Cheualiers, ou les quatre Faons, qui s’appellent
aussi Imperiale, gaigne pareillement vne marque de chacun.
Si quelqu’vn a les quatre hautes ou les quatre basses de triomphes, ce qui s’appelle
Brizigole (43) gaigne vne marque de chacun.
Si quelqu’vn a les cinq hautes ou les cinq basses, il en gaigne deux.
S’il a les six hautes ou les six basses il en gaigne trois.
S’il fait le Bagat, ou vn Roy le dernier il en gaigne six.
Celuy qui ne s’est point excusé en joüant en paye deux à chacun & cette excuse se faict
auec la carte du Math, qui est vn des sept Tarots, qui ne prent point & ne peut estre pris,
mais se presente sur la main des autres ioüeurs, & se remet dans les cartes qui sont
leuées.
Si quelqu’vn ne montre point ses dix, quinze ou vingts triomphes il ne les compte
point.
Et tout de mesme si quelqu’vn oublie aucune de ses Imperialles, Brizigoles, trois
Roys, deux Roys & le Math, ou qui n’a le sien n’est plus receu à s’en souuenir.
Et d’autant que la valeur des cartes est aussi considerée lors qu’il faut desconter a
la fin du coup, il est necessaire de sçauoir que chacun des sept Tarots vaut cinq points,
s’il est joinct auec deux autres cartes de nulle valeur. Les Roynes valent quatre : les
Cheualiers trois, & les Faons deux, se trouuans pareillement chacuns accompagnez de
deux cartes sans prix. Et vne main toute simple vaut vn point.
Or afin de ne perdre aucune de ces cartes à la fin du coup, il est requis que chacun
des trois pesonnes qui joüent aye vingt-cing [sic] de ces points dans son jeu : car s’il en
perd cinq il payera vne marque à celuy qui les gaignera : S’il en perd dix, il payera deux
marques, & s’il en perd quinze, il payera trois marques : mais s’il n’en perd que trois ou
quatre il ne payera rien : & tout de mesme s’il n’en perd que sept, huict, ou neuf, il ne
payera qu’vne marque : & dans ce descompte les triomphes, excepté le Monde, le Math,
& Bagat, sont de nulle valeur pour les points que i’ay dits.
Que si couppant pour voir qui fera il se rencontre quelque triomphe elle sera plus
estimée qu’aucune des cartes du point, sinon le Math qui ne vaut rien du tout en ce
rencontre.
Et si quelqu’vn à [sic] mauuais jeu il luy sera permis de prendre patience, & se
desennuyer à donner du plaisir aux autres, si on ne luy faict la grace de recommancer le
coup en payant force marques.
(35) Bande « troupe, groupe (armé) » est un emprunt à l’italien (XIVe s.).
(36) Atouts. Le mot « atout » n’est guère courant avant le milieu du XVIIIe siècle ;
« triomphe » est ici le terme classique.
(37) Nous disons aujourd’hui dame, cavalier, valet. Faon est un italianisme évident
(c’est l’italien fante « valet »), qu’il aurait été sans doute préférable d’écrire fant, de
même prononciation.
(38) Ce sont les trois « bouts » du tarot qui sont énumérés ici : le Monde, c’est le 21 ; le
Math ou Mat, c’est l’excuse (italien matto, « fou ») ; le Bagat est notre « petit » ou 1
d’atout (italien bagatto). Mat et bagat sont bien attestés en français dès le XVIe siècle.
(39) Couleurs.
(40) C’est-à-dire quand on n’a pas de la couleur demandée.
(41) Mains = levées, plis.
(42) Autrement dit, à coupes et deniers, l’ordre des cartes numérales est inversé : de
l’as, qui vient au-dessous du valet, au dix qui est la plus basse. Cette disposition est
traditionnelle au tarot, mais n’a pas subsisté dans le jeu français
actuel.
(43) Ce curieux terme est inconnu en français : il est, lui aussi, emprunté à l’italien. Au
sens de « séquence d’atouts », il semble en effet lié au tarot dans la péninsule :
brezigola dans un livre imprimé en Piémont en 1565, bergigole (au pluriel) dans un
manuscrit peut-être vénitien de la fin du XVIe siècle, et surtout verzigole, terme du jeu
de minchiate, forme de tarot florentin qui se jouait avec 97 cartes.
Addition manuscrite de la main d’Augustin Dupuy.
il n’est pas permis d’escarter un Tarot ou une triomphe sur peine de deux marques a chacun.
Qui escarte mal ou n’escarte point du tout, donne une marque a chacun, & ne peut rien compter.
Qui donne mal pert le coup, & paie une marque a chacun.
S’il se trouve un Tarot a la premiere main de celui qui donne il lui vaudra une marque de chacun.
Qui renonce paie une marque a chacun & ne peut rien compter.
Celuy qui a laz de deniers dit la belle gangne une marque de chacun en le iouant, soit qu’on
le perde ou non.
Trois Rois valent une marque de chacun.
Quatre Rois valent quatre marques de chacun.
Deux Rois & le mat valent une marque de chacun.
Trois Rois & le mat, deux marques.
Quatre Rois & le mat six.
Le Monde, mat, & Bagat, trois marques chacun.
Quatre Tarots valent une marque de chacun.
Cinq Tarots deux.
Six Tarots trois.
Sept Tarots quatre.
Sept Tarots & la belle, cinq.
Si quelqu’un n’a le sien il paie une marque a celui qui en a deux.
Dix triomphes valent une marque de chacun.
Quinze triomphes, deux.
Vingt triomphes, trois.
Qui a une Imperiale gangne une marque de chacun.
Qui a les quatre Reines, les quatre Chevaliers, ou les 4. Faons qui s’appellent aussi
Imperiale, gangne une marque de chacun.
Qui a les 4 basses ou les 4 hautes de Triomphe ce qui s’appelle Brizigole gangne une marque
de chacun.
Qui a les cinq hautes, ou les 5 basses en gangne deux.
Qui a les six hautes ou six basses en gangne trois.
Qui fait le Bagat ou un Roi le dernier gangne six marques de chacun.
En recontant les cartes a la fin du ieu il faut avoir 25 points chacun pour ne rien perdre :
celui qui en pert cinq – il paie une marque à celui qui les gangne, s’il en pert dix il paiera
deux marques, s’il en pert 15, trois marques : mais s’il ne pert que trois ou quatre il ne paiera
rien : & s’il n’en pert que sept, huict, ou neuf, il ne paiera qu’une marque, s’il en pert 12, 13,
ou 14, il ne paiera que 2 marques.
En couppant pour voir qui fera s’il se rencontre quelque Triomphe elle sera plus estimee
qu’aucune des cartes du point : le mat ne vaut rien du tout en cet endroit.
Celui qui a le mat & ne s’est point excusé en iouant – & le garde a la derniere paie deux
marques a chacun.
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