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Bertrand Saint-Guillain: renouer avec la tradition des cartiers.


Bertrand Saint-Guillain

Alain Jacobs :


Comment en êtes-vous venu au Tarot?


Bertrand Saint-Guillain:


Adolescent, j’ai traîné avec plaisir et curiosité dans une librairie ésotérique et j’ai acheté mes premiers jeux de tarots. A l’époque en Province, on trouvait évidemment l’Ancien Tarot de Marseille de Grimaud et déjà un bon panel de ce qui se trouve encore aujourd’hui de déclinaisons du « Rider Waite Smith ».

Un ami plus âgé m’a ensuite offert le livre de Paul Marteau et l’ayant dans les mains, je n’étais toujours pas fondamentalement convaincu par le Grimaud. J’ai donc entrepris de dessiner à l’aquarelle un tarot correspondant aux descriptions du livre. Je voulais comprendre comment ces cartes étaient faites par l’angle de la fabrication. Le projet n’a pas dépassé à l’époque une carte et demie, car j’ai constaté que les illustrations (qui dans mon exemplaire du livre étaient celles du jeu de Grimaud) ne correspondaient pas aux descriptions ! Cela a depuis été élucidé : Paul Marteau se basait sur les couleurs du jeu de Camoin, pas sur le jeu qu’il a créé.

A l’époque il n’y avait pas d’internet et je n’avais pas accès à toutes les ressources disponibles aujourd’hui. J’ai donc laissé tomber le projet de dessiner un jeu et je me suis contenté du Grimaud pendant plusieurs années, avant de mettre de côté le Tarot pour me consacrer à l’étude du Yi-Jing. J’y suis revenu seulement plus tard quand enfin j’ai pu comprendre d’où venaient les couleurs décrites par Marteau et que j’ai trouvé quelques informations pratiques et concrètes sur les cartiers et la tradition des cartes.


Ce que vous dites est intéressant! Vous relevez une embûche peut-être commune à tout amateur débutant, que ce soit des Tarots ou d’autre chose: le manque de sources claires et fiables. Et l’oubli à leur recours. Sans elles, on peut facilement se fourvoyer surtout si l’on prend comme acquis, pour rester dans le sujet qui nous occupe, le premier livre ou le premier jeu à disposition. Aujourd’hui, on peut se réjouir d’avoir bien davantage de ressources, qu’il faut je crois, malgré tout, confronter, sans oublier d’user de son esprit critique. Ici, votre vérification des descriptions d’un livre, des couleurs et du jeu concerné est pour moi tout-à-fait significative: sans cet esprit critique et des yeux bien ouverts, on peut facilement s’abuser ou se laisser abuser…


Oui car nul n’est tenu de devenir un érudit ou de se spécialiser dans l’histoire des cartes ! On peut aussi se noyer dans le labyrinthe historique des tarots : il ne faut pas éteindre la flamme qui a fait aimer les tarots et l’esprit critique doit servir à rester ouvert, à comprendre la richesse de la part de poésie ou de spiritualité, pas à disqualifier des approches du tarot même si leur exactitude historique laisse à désirer !

Garder des yeux biens ouverts certes, mais sans œillères, au risque de s’aveugler dans l’autre sens.


Vous avez un noble but : renouer avec la tradition des cartiers. Qu’est-ce que cela signifie pour vous? Dans quelle mesure est-ce possible?


C’est une question de pratique. On a énormément de littérature « spéculative » sur les tarots, des dizaines de liens supposés ou devinés à des dizaines de traditions, mais sur l’aspect concret, la fabrication des cartes, la tradition s’est éteinte au XIXe siècle, quand Grimaud à Paris et Camoin à Marseille créèrent des monopoles sur la fabrication des cartes en imposant une industrialisation qui coupait complètement avec la tradition de confréries et de gens de métiers, tradition déjà bien mal en point au XVIIIe siècle apparemment vu l’uniformisation des cartes et le déclin de l’intérêt pour le tarot.

Renouer avec cette tradition est possible dans la mesure où l’on ne prétend pas dépasser les maîtres (au sens de gens de maîtrise), où l’on est conscient que la part orale de l’enseignement ne pourra qu’affleurer dans le geste et surtout tant qu’on accepte de douter et de se laisser porter. « Servir, ne pas se servir, ne pas asservir », comme me l’a transmis Charly Alverda, s’applique avant tout à ce genre d’entreprise : « servir » la tradition, ce que l’on en entend, « ne pas se servir » pour insinuer un message trop personnel ou dénaturer l’héritage, « ne pas asservir » sa propre créativité à des règles et des idées préconçues.

Dans cette position, on a droit à l’erreur et sans la chercher on doit l’accepter et l’aimer sans la valoriser.

Travail de gravure: ici, le 2 de Bâtons

Première planche de numérales à la taille des Triomphes de Paris (ici, Le Soleil)


Peut-on ou doit-on dans ce genre de travaux distinguer l’intention du résultat?


Si on croit que les choses sont séparées oui, mais en vérité non. Le résultat et l’intention coexistent. Le résultat s’affranchit de l’intention mais reste la trace du moule qui l’a engendré. A moins que l’intention ne soit elle-même engendrée par un résultat à venir qui appelle à se manifester ? L’intention existe-t-elle seulement ? J’ai l’impression d’avoir eu une intention mais je n’en sais rien, ce que je vois du « résultat » me pousse à garder vivant – voire à réinventer – un souvenir. Les choses sont là, c’est déjà pas mal… Si l’intention n’est rien, je ne peux pas distinguer « rien » de «quelque chose», et si l’intention perdure dans la réalisation elles ne sauraient être séparées.


Vous pourriez susciter des vocations ou l’envie de se pencher sur cet aspect précis des Tarots. Quelles sont vos sources, vos références?


J’en donne un certain nombre sur mon site http://www.tarotparis.com/ .

Pour la fabrication des cartes, le manuel du cartier de Duhamel du Monceau est une source inestimable, mais on lira avec intérêt tout texte traitant de l’art des cartiers, ou du fonctionnement de leurs confréries (les naypiers de Toulouse par exemple ou le fantastique ouvrage de Jean-Pierre Garrigues « La carte à jouer à Perpignan. Du Moyen-Age à nos jours »).

En ce qui concerne les cartes et leur histoire, je me permets de renvoyer à ce lien :

qui se termine sur une bibliographie succincte, on peut aussi et surtout se pencher sur la bibliographie de l’I.P.C.S

Internet regorge de références iconographiques (le British Museum est absolument exemplaire), certains blogs («ludus triomphorum» de Ross Caldwell ou «Pré-Gébelin Tarot History» de Michael J. Hurst par exemple) et forums (tarothistory) donnent d’excellentes pistes.

Sans oublier Gallica!


Celles et ceux qui abordent votre travail ont-il cet aspect en tête?


C’est à eux qu’il faut demander ! Deux personnes (Charly Alverda et Jérôme Coulomb) ont écrit des textes sur les Triomphes de Paris.

Ces textes et les retours de ceux qui se sont penchés sur ces cartes me laissent penser qu’ils ont des tête bien faites, qu’ils voient ce que j’ai essayé de faire très précisément et plus encore et qu’ils arrivent à cerner les contours de leurs visions plus profondément que ce que je pourrais exprimer verbalement. C’est très enthousiasmant de voir qu’un travail dépasse l’intention et le geste de son auteur.

Gravure (Bertrand Saint-Guillain)
Résultat imprimé de la gravure
Triomphes de Paris par Bertrand Saint-Guillain

Votre exposition semble avoir eu du succès. Peut-on espérer une exposition « itinérante »?


Je n’étais pas à l’initiative de cette exposition, qui m’a été proposée alors que je n’envisageais pas initialement ce travail comme quelque chose d’exposable, mais je la renouvellerai avec plaisir si on m’en fait la demande.

Il faudrait simplement que l’occasion se présente !

Affiche de l’exposition
Vue de l’exposition

Je souligne, car je l’apprécie grandement, votre sincérité, votre juste recul sur vous-même. Vous n’avancez pas masqué en laissant croire qu’on peut se procurer auprès de vous une restitution d’un jeu ancien; il n’y a pas de ‘valeur ajoutée’ qui soit fallacieuse… Ce qui n’est pas vraiment le cas de tous! J’appellerais ça « l’art du faux »…volontaire ou non.


Je ne sais pas si mon discours public est aussi clair, je l’aimerais, mais il faut avouer que je prétends tout de même à une forme d’authenticité : je parle de tradition. Cela peut-être entendu au-delà de ce que j’exprime et je suis susceptible comme tout un chacun de croire en l’image qu’on me renvoie ! J’ai parfois la critique facile, c’est sans doute une preuve de plus que je ne suis pas immunisé à ce travers de faire prendre des vessies pour des lanternes – même involontairement comme vous le soulignez. Vigilance donc !


Maintenant, vous évoquez une notion souvent invoquée mais rarement explicitée: la tradition… Qu’est-ce que ce mot signifie précisément dans les Tarots?


Répondre à cette question est risqué, car on peut se mettre à dos tous les différents défenseur de La Tradition et chacun l’entend à sa façon ! Comme je ne veux blesser personne (et éviter les inimitiés) je dirais que mon travail lui-même est une tentative de répondre à cette question – je suis d’ailleurs très heureux que cette dimension ait été relevée dans les deux textes que je citais ci-dessus. Aborder la tradition par la praxis c’est la seule façon que j’ai de répondre à cette question.

Cependant, à côté de La Tradition, des traditions naissent et vivent, j’ai beaucoup de respect pour les traditions de cartomancie (que je pratique également et dont je fais profession) par exemple, tant qu’on ne les confond pas avec des dogmes.

Je vois par exemples deux devoirs traditionnels se dégager dans cette pratique (pour en revenir à la tentative de cerner la « tradition ») : le devoir du graveur de cartes qui oscille entre le respect des tarots existants et la responsabilité qu’il prend aux manques ou aux spécificités de sa création, la nécessaire signature de son travail qui sera soulignée éventuellement par ses initiales et le devoir du cartier de porter la responsabilité de la production du jeu en apposant son nom complet sur les cartes et éventuellement sa marque sur leur enveloppe. C’est aussi dans ces détails que s’exprime la tradition.

Enveloppe des Triomphes de Paris

Votre démarche est-elle essentiellement artistique ou comporte-t-elle une dimension supplémentaire à votre désir de renouer avec la tradition des cartiers?


J’avais un peu de mal à répondre à cette question avant de me rendre compte qu’elle entend ce travail à l’envers de sa réalité.

Pour ne pas rentrer dans le débat de la possibilité d’ « art pour l’art » qui demanderait de définir laborieusement chaque terme, je m’appuierai seulement sur l’aspect poïétique : l’impulsion initiale était bien de créer un tarot et de mettre le corps dans les gestes des « tailleurs de moules », des mêleurs ou mélangeurs de papier, des colleurs, de sentir les odeurs, la chaleur du feu et des muscles au travail…

Pour une part il s’agissait plus d’investigation : mesurer la faisabilité, appeler les ressentis et « réveiller des mémoires».

Les aspects esthétiques se sont manifestés comme conséquence de cette impulsion. Que ce travail se décline aujourd’hui dans un contexte « artistique » est une conséquence aussi, donc on peut répondre « non » à la première partie de la question, ce n’est pas un travail essentiellement artistique (au sens où j’entends le terme artistique).

Incidemment je reviens sur l’articulation de votre question : il n’y a pas de « ou » exclusif ou inclusif, il peut cependant y avoir un « et ».

Les « dimensions » sont réelles mais pas tant supplémentaires que concomitantes.

Triomphes de Paris
Triomphes MMXII par Bertrand Saint-Guillain
Triomphes MMXII

Vous évoquez sur votre site « Triomphes de Paris » la possibilité d’une future réalisation d’un jeu selon une couleur (précise? pour le jeu en entier) ou plusieurs couleurs (une par carte); qu’en est-il précisément? Peut-on l’assimiler à ce qui vient d’être effectué par ‘Tarot Artisanal’ et le « Tarot de Blain »?


J’aimerais travailler la couleur à la façon traditionnelle, j’ai fait quelques essais et recherches, retrouvés un certain nombre de recettes, identifié des ingrédients et leurs préparations, mais je me pose encore beaucoup de questions.

Il s’agit d’une approche que j’essaierais de garder traditionnelle, pas du tout d’innovation comme le « Tarot de Blain ». Rajouter une seule couleur aux compositions noir et blanc représente une quantité de travail et de recherches assez énormes en ce qui me concerne, je ne risque donc pas de travailler avec 21 nuances !


Vous ne vous êtes pas seulement intéressé aux Tarots pour vos créations? Comment s’opèrent vos choix?


Certains choix pratiques se sont imposés nécessairement : les techniques de gravures en taille d’épargne, évidemment (l’ouvrage de Jean-Michel Papillon), des notions sur la fabrication des papiers et des cartonnages, etc… et bien sûr les techniques et l’histoire des cartiers.

Pour le reste, c’est une question d’affinité.


Palimpseste Lenormand par Bertrand Saint-Guillain

« 36 Stratégies », par Bertrand Saint-Guillain. Un hybride d’aide à la décision et d’élaboration de stratégies au croisement du Tarot et du Yi-Jing, l’équivalent d’un « petit lenormand » avec une touche de Zen.


Comparez-vous les différentes éditions de jeux entre-elles?


Il y a peu d’exemples d’éditions différentes de jeux anciens : on peut trouver relativement facilement des images de quelques éditions différentes du Conver évidemment, il y a les deux Dodal de la B.N.F. et du British Museum, mais des jeux comme le tarot de Noblet et bien sûr de Viéville sont uniques. Ceux-là se comparent à leurs semblables ou leurs héritiers; pour le Noblet, on peut le comparer aux autres « TdM 1 » et au tarot au motif « de Besançon » de Héri, le Viéville peut se mettre à côté de tarots italiens qui présentent de lointaines similarités et bien sûr des tarots au motif dit de Rouen-Bruxelles – famille à laquelle devrait se rajouter de nouvelles informations grâce à un chercheur belge qui n’a pas encore publié ses travaux et dont je me contenterais de dire pour le moment qu’ils risquent de souligner la parenté évidente du tarot de Viéville à ce motif et préciser – ou compliquer – son évolution géographique.

L’approche comparative des différents tarots est une étape par laquelle les amateurs de ces cartes passent presque tous, en allant chercher un maximum de ressources iconographiques et en étudiant autant que faire se peut d’anciennes cartes – je suis très reconnaissant notamment à Yves Reynaud qui m’a mis dans les mains d’authentiques anciennes cartes, au musée de la carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux où j’ai passé des heures, à Thierry Depaulis et l’I.P.C.S. grâce à qui j’ai pu regarder intimement à quelques centimètres sur la fameuse « feuille des beaux-arts », mais je dois aussi beaucoup aux nombreux catalogues et ouvrages sur le tarot, ainsi qu’aux éditeurs de cartes modernes qui publient des reproductions de jeux anciens.

L’étude des différents tarots a fait naître chez moi cette préférence pour l’œuvre que constitue le tarot de Viéville et pour les tarots au motif « de Marseille » de type 1.


Quelle place peut-on donner aux détails, signifiants ou non, sur les cartes des Tarots?


La place qu’on voudra ! On peut remarquer que bien souvent les auteurs qui s’accrochent à certains détails le font pour servir leur propos ou leur hypothèse initiale. Un exemple frappant de cette façon de faire, qui se perpétue aujourd’hui, est le travail de Joseph Maxwell sur le tarot : il attache une grande importance aux nombres de pétales, à la répétitions d’éléments et les organise de manière à soutenir ses divers postulats. Tel autre comptera les traits de remplissage, les orientations des cartes, etc…

Systématiser ce regard et l’asservir à son projet au lieu de servir ce qui nous est donné à voir constitue un premier écueil. Inversement, systématiquement rejeter les détails comme accidents ou contraintes du mode de production peut faire rater des choses importantes. Surtout le danger quand on rentre dans un système c’est de se mettre des œillères et de confondre un discours sur le tarot, qui est l’actualisation d’une vision en mots, avec Le Discours du Tarot.


Les détails, signifiants ou non, sont souvent évoqués. Il semble d’ailleurs que seuls les Tarots aient cette particularité.


Depuis qu’on écrit sur le tarot (et donc avant Court de Gébelin) on cherche à comprendre le « discours caché » de ces cartes – qui n’est pas caché puisqu’il est donné à voir mais bien incompris. Par ailleurs dans l’approche des historiens qui bien souvent rejettent une lecture « ésotérique » ou « occulte » du Tarot, l’étude des détails iconographiques permet de restituer l’arbre généalogique du tarot.

Si on compare les essais publiés et commenté par Caldwell/Depaulis/Ponzi

et Court de Gébelin par exemple, on constate que ce qui motive l’exploration des cartes c’est bien l’incompréhension et la certitude qu’elles portent un discours caché que l’auteur pense avoir élucidé par une heureuse illumination.

Ceci dit pour remettre la question en perspective, il faut être conscient que le jeu de Tarot est le jeu le plus commenté de toute l’histoire des jeux de cartes, il est donc plus évident de remarquer cette tendance à chercher le détail, mais si l’on se penche sur les autres jeux de cartes, on constatera que l’attention au détail est une nécessité. La particularité des Tarots c’est qu’on prête aux moindres détails une valeur signifiante fondamentale dans le meta-discours supposé, alors qu’ailleurs on en fera simplement le constat factuel pour en tirer des conclusions pratiques.


Il faut peut-être également faire la part des choses entre un jeu en lui-même, l’intention du créateur et l’utilisation qu’on veut en faire?


Nécessairement, il faut faire la part des choses, sans forcément les séparer. Charly Alverda l’a écrit et répété récemment dans vos pages : pour le joueur les cartes n’ont de signifiants que leurs valeurs dans le jeu. L’expression de cette valeur était évidemment aussi une nécessité pour les fabricants de cartes, quelles qu’aient pu être leurs éventuelles autres intentions.


C’est grâce à votre article sur les traces fantômes que j’ai pris conscience de mon manque de rigueur quant à mon sens de l’observation. Ces traces n’apparaissent que sur les jeux anciens, même sur le Tarot de Jacques Viéville! Je n’en avais jamais rien vu! Là aussi, les hypothèses se faisaient déjà jour et vous voilà avec une explication des plus convaincantes.


Une approche pragmatique permet d’éviter les miroirs aux alouettes, je ne prétends pas qu’il faille s’arrêter là, mais on a là l’exemple d’une surexploitation d’un détail en lui fabricant du signifié et en lui inventant des raisons au détriment de l’explication réelle. Admettons même que nous n’ayons pas de sources sur la fabrication des cartes : en imaginant le processus de fabrication on peut commencer par supposer qu’un « incident technique » génère ces traces – c’est donc l’explication à retenir au premier chef, à moins de trouver une signification incontestable ou évidente – ce qui n’a dans ce cas jamais été le cas.

Ici, imaginer autre chose qu’une conséquence du procédé de fabrication est une erreur impardonnable puisque nous avons en outre de la documentation précise sur ce point particulier, qui est absolument vérifiable dans la pratique si jamais on mettait en doute l’honnêteté de la source.

Ces traces – les cartes qui « baisent », dans l’argot des cartiers – n’ont pas un intérêt nul une fois élucidées : elles confirment les descriptions du travail des cartiers, elles donnent des indications sur leurs contraintes techniques et dans une certaine mesure elle renseignent sur la composition des moules de cartes, sur les gestes du colleur et l’importance de l’ordre de rangement dans le travail, etc…

À partir de là, libre à chacun d’extrapoler sur ces détails, mais en démarrant sur des bases rigoureuses.

(Vous lirez avec intérêt ce passionnant article de Bertrand sur le sujet, ici:)

Le 7 de Bâtons dans le Tarot de Jacques Viéville (Editions Sivilixi) et les traces fantômes

MA (Le Fou, Le Fol, Le Mat) dans le Tarot de Jacques Viéville (Editions Sivilixi)


Vous utilisez les jeux, vôtres ou autres, pour des consultations… Avez-vous une préférence?


Le tarot de Viéville essentiellement. Il m’arrive d’utiliser d’autres jeux (Payen et Dodal), les miens rarement. La raison qui me pousse à me servir dans ce contexte du Tarot de Viéville tient à mes croyances personnelles, pas à un pouvoir « magique » supérieur de ce jeu par rapport aux autres : d’abord c’est le jeu ancien que je trouve le plus beau et dans lequel la « dynamique visuelle » des cartes (que personnellement je rattache à un aspect invisible – là nous sommes en plein dans mes croyances ou mon expérience personnelle) est la plus nette. Ensuite ce jeu ayant été (presque totalement) ignoré des cartomanciens ou des occultistes au profit du tarot de Conver, c’est celui sur lequel il existe le moins (quasiment aucun) de livres, méthodes, discours, description, etc… Il est donc moins chargé de ce qu’on peut appeler (pour avoir l’air rationnel) un imaginaire collectif, ou, pour le dire autrement et glisser un peu vers d’autres domaines, son espace imaginal est plus grand, plus vaste et plus vierge.

Il me semble important de rappeler que si je m’affaire d’une part à la cartomancie et d’autre part à la tradition des cartiers, il ne faut pas faire de confusion entre les deux ; on peut peut-être parler de « tradition oraculaire » pour la cartomancie (et ses spécificités) et très certainement d’une tradition particulière des cartiers. Gardons surtout à l’esprit que l’on parle de deux choses tout à fait différentes, en tous cas que l’une ne saurait servir de justification à l’autre.


Avez-vous trouvé le Tarot de Jacques Viéville plus inspirant que d’autres pour avoir réalisé vos Triomphes de Paris, rappelons-le en création originale?


J’ai sans doute répondu plus haut à cette question, je dirais simplement : oui et pour faire un peu suite à la question précédente, je dirais qu’il permettait plus de liberté parce qu’en se basant sur Viéville on est moins « attendu au tournant » sur des idées préconçues.

Le Diable des Triomphes de Paris
Le DYABLE du Tarot de Jacques Viéville (Sivilixi)
Le Diable (format 18×9 cm) Bertrand Saint-Guillain

Combien de temps avez-vous mis pour leur réalisation?


J’ai un peu perdu le compte des heures. La gravure de chaque carte a pris un temps variable, sachant qu’il fallait étudier le modèle, imaginer sa synthèse en petite dimension, la dessiner et la graver, l’imprimer, puis les refaire, en ayant évidemment d’autres activités en dehors de cela. Là on ne parle que de graver des cartes. Un autre aspect sous-estimé de cette production, c’est de reproduire le reste du travail de l’atelier du cartier (à part la mise en couleur), la séquence répétitive : impression en séries (réduites), séchage, collage (préparation des colles), [ici je saute l’étape de l’habillage des cartes], chauffage, lissage, découpage, empaquetage. Hors création des moules, la fabrication d’un jeu prend dans les conditions où je les ai réalisées et ramenées à une succession d’heures, une ou deux journées de travail (en heures de cartiers). Évidemment la réalisation effective prend plus de temps avec les temps d’attente des séchage, etc… J’ai réalisé 32 exemplaires de ce jeu à la main sur une durée d’un peu plus d’un an (en ne faisant pas cette activité à plein temps bien sûr).

Actuellement je travaille sur la « suite » des triomphes, pour avoir les 56 numérales et honneurs à cette taille – mais je ne pense pas produire des jeux de 78 cartes à la main autrement que sur commande. Vu mon rythme de production le temps de gravure devrait prendre quelques centaines d’heures ? Peut-être plus, peut-être moins…


Pour avoir tenté très maladroitement et sans résultat de dessiner les Triomphes pour mon propre plaisir, je me suis immédiatement aperçu de la difficulté que cela représente. Lorsqu’on sait que les Tarots anciens étaient gravés, faits main, j’en suis d’autant plus admiratif! Ils me semblent d’autant plus beaux et précieux. C’était un travail minutieux, pointu, de longue haleine.


Oui certains tarots étaient de très belles gravures, mais d’un point de vue purement esthétique il faut aussi les remettre dans le contexte de l’époque et voir les gravures sur bois somptueuses qui existaient avant et pendant les époques des cartiers. En regardant aussi les gravures de Holbein, Dürer, ou des gravures populaires, on peut aussi imaginer comment le contexte de production des cartes influaient sur la création et la créativité des graveurs et comment les règles qu’ils suivaient et les objectifs qui les guidaient étaient spécifiques.

Les cartes à jouer anciennes (hors tarot) contiennent des chefs-d’œuvre de gravure sur bois a côté desquels certains des meilleurs tarots font pâle figure du point de vue technique et esthétique.

Redessiner les cartes me semble une activité très saine et productive, il ne faut surtout pas s’arrêter à l’aspect esthétique car indépendamment de cet aspect le dessin qu’il soit virtuose ou maladroit permet de cerner des rapport topologiques, de comprendre le trait de construction, les rapports de proportion, etc…


Votre travail a-t-il eu une incidence sur votre perception de ceux-ci?


Oui, c’était en vérité une de mes motivations fondamentales.


Vous êtes-vous senti « connecté » avec l’esprit des cartiers d’antan que vous ressuscitez à votre façon?


Oui, fatalement, en tâchant de reproduire les gestes, le lien s’établit par « l’intelligence de la main ».


Je pense à ce que Jean-Claude Flornoy a probablement tenté de faire en réalisant ses tableaux géants.

Le Pape et L’Empereur, tableaux par Jean-Claude Flornoy


Je crois que Jean-Claude Flornoy a eu deux approches différentes : la réalisation des cartes en grand format était – dans ses propres mots – une exploration de la « force opérative » des « formes actives » des cartes. C’est un mode d’exploration pertinent mais, en un sens, en rupture avec la « tradition » (ce qui ne l’invalide pas bien sûr).

En revanche le travail de coloration des cartes aux pochoirs continué aujourd’hui par Roxanne Flornoy (http://www.letarot.com/ ) est complètement dans la connexion aux cartiers.

Il est indéniable que les initiatives de Jean-Claude Flornoy ont permis de relancer dans un plus large public l’intérêt pour les tarots anciens et ont inspirés d’autres créations.

Bien avant de m’atteler à la tâche je lui avais fait part de mon désir de réaliser des gravures de cartes (j’hésitais à l’époque à reproduire des tarots existants) et il m’avait mis en garde – plutôt à juste titre – sur l’impossibilité (notamment économique) d’une telle entreprise.

Aujourd’hui je suis convaincu que faire une reproduction « la plus exacte » d’un tarot ancien en gravure ne serait pas conforme à l’esprit et la tradition des cartiers : qu’on regarde les tarots marseillais, on verra qu’en dépit de leur unité et de l’attention des graveurs à imiter dans les détails un canon (préexistant ou qui s’est manifesté dans cette reproduction), ils ont tous sans exception une identité propre. En ce sens tout re-dessin, toute « amélioration » d’un jeu ancien est une création originale – c’est pourquoi je préfère personnellement appeler le tarot inspiré par Noblet de Jean-Claude Flornoy, le « tarot de Flornoy », je pense sincèrement que c’est son chef-d’œuvre de cartier et qu’il le mérite.

Illustration gravée inspirée par les « figures hiéroglyphiques » du pseudo Nicolas Flamel (Bertrand Saint-Guillain)

Triomphes MMXII (détail)

Les Tarots n’échappent pas au phénomène de starification en étant mis au service de l’Ego (et du portefeuille) de « Gardiens du Temple » parfois auto-proclamés. Ne devrait-on pas ignorer ces derniers et vouer toutes nos louanges au Tarot lui-même?


C’est une responsabilité personnelle de tout un chacun de ne pas mettre tel ou tel sur un piédestal parce qu’il dit des choses… qui confortent notre propre interprétation. Je trouve que le monde du tarot est par essence à l’abri d’un tel phénomène parce qu’il intéresse beaucoup moins de gens que la télé réalité – jusqu’à ce qu’une boîte de prod ait l’idée de faire un reality-show autour de ce sujet… Si un décideur lit ceci : c’est une très mauvaise idée ! Pour ce qui est de vouer les louanges à ceci ou cela : idolâtrer un individu ou des cartes ce n’est pas tellement mieux, l’enjeu c’est de savoir apprécier sans se perdre dans l’adoration (et ensuite vouloir renverser les idoles qu’on a soi même érigé.)


Victime de cybercriminels et du vol de votre propriété intellectuelle, vous dénoncez « le pillage des artistes morts il y a 200 ans ». Que dénoncez-vous précisément?


J’ai poussé un coup de gueule sans crier au « cybercrime » et je me sens beaucoup moins une victime que, par exemple, un artiste comme Ciro Marchetti (quoi qu’on pense de la qualité de son travail) qui souffre lui effectivement d’un piratage en masse de son travail – proportionnel sans doute à sa diffusion et sa notoriété. Je dénonçai en particulier la légèreté de certaines personnes vis à vis du respect d’une création originale contemporaine – je n’ai pas envie de balancer de noms car en ce qui me concerne c’était principalement une négligence – qui limite les possibilité de partager mon travail et qui m’avait temporairement privé de motivation à continuer.

L’expression de « pillage des artistes morts il y a 200 ans » mérite clairement d’être précisée. D’une part le travail des artistes morts depuis longtemps fait partie du domaine public – en tous cas en France. Ceci ne devrait pas empêcher de respecter l’intégrité des oeuvres, le droit moral des artistes. Ce qui a été fait dans le passé par exemple pour « le tarot de Claude Burdel » pendant des années, ce qui est vendu pour « le tarot de Vandenborre », sont des trahisons terribles d’une exécution médiocre des oeuvres originales. L’édition malheureuse du tarot de Viéville par le Héron – qui faute de mieux a pourtant fait référence trois décennies durant et que je n’étais pas le dernier à défendre – était un massacre de l’oeuvre originale – comme l’a démontré très bien Patrick Coq en éditant une version respectueuse du tarot source (aux éditions Sivilixi si il est besoin de le rappeler).

D’autre part, si j’apprécie, et je l’ai souvent dit, de voir reproduits des tarots historiques, je trouve parfois choquant les réinterprétations qui apportent esthétiquement peu, en prétendant « retrouver l’origine » mais en passant par des moyens de productions qui n’ont rien à voir avec les conditions originelles de la création de ces images, en se permettant de faire des constructions « au goût ancien » quand on a affaire à des ersatz où les projections des remixeurs se cachent derrière un semblant d’authenticité graphique.

Parallèlement à cette question, je suis aussi un peu las de lire des éloges sur la maîtrise artistique des graveurs de cartes : j’aime ces images, leurs auteurs avaient un talent certain, mais on parle d’imagerie populaire où les critères esthétiques étaient secondaires et très très loin de la qualité des graveurs sur bois des mêmes époques qui produisaient des images qui sont restées dans l’histoire de l’art, qu’il s’agisse de reproductions d’oeuvre peintes ou de créations originales. A part Mitelli (qui gravait sur cuivre) et J.-M. Papillon aucun graveur de cartes de tarots avant le XIXe siècle n’a démontré un niveau de dessin et de gravure arrivant à la cheville d’Holbein ou de Dürer – et cela vaut pour la gravure elle-même mais aussi pour la qualité des tirages : si on se donne la peine de lire Duhamel du Monceau, on constate que la quantité de feuilles imprimées par un mouleur de cartes dans une journée faisait qu’il en sortait au moins une cinquantaine dans l’heure ! Dans de telles conditions de travail, même si un ouvrier qualifié peut sortir un travail propre, il n’a certainement pas le temps de se questionner sur l’encrage, de se préoccuper qu’une feuille a bougé de quelques millimètres (pouvant faire croire par exemple à une cassure du moule)… Il faut avoir ces conditions à l’esprit quand on regarde les cartes et ce qu’on croit qu’elles sont supposées véhiculer – et même si l’on se laisse aller au plaisir de la surinterprétation, ne pas prêter aux cartiers et graveurs des intentions qu’ils ne pouvaient pas manifester matériellement.


Au-delà du Tarot comme « outil spirituel » qui réunit tout le monde, n’est-ce pas clairement « chasse gardée » quand il s’agit de royalties?


Je ne pense pas que le tarot comme « outil spirituel » réunisse tout le monde ! La simple désignation d’outil spirituel hérisserait dans la lignée de Michael Dummett les historiens pragmatiques, le mot d’outil pourrait faire tiquer pas mal de ceux qui voient le tarot abriter un enseignement, et les utilisations secondaires du tarot en tant qu’intermédiaire « invisible » ne font pas pas l’unanimité – entre les tenants de « la vraie méthode de la vraie Trââdition », ceux qui conspuent la divination, les écoles qui s’envoient des fions en douce ou en vrai, les querelles d’appropriation de La découverte, je ne vois pas trop dans ce paysage une belle harmonie, l’image qui me vient ressemble plus à un tableau de Jérome Bosch !

Au-delà de ce joyeux chaos qui se veut spirituel ou éclairé, en termes de création graphique, il y a une chasse gardée un peu abusive des musées, puisqu’ils abritent des créations qui appartiennent au domaine public et les questions de « droit de reproduction » sont souvent moralement discutables – légalement aussi, cependant en ce domaine c’est celui qui a le plus de moyens financiers pour alimenter ses avocats qui a raison – même si paradoxalement cela permet de protéger des oeuvres de la surexploitation et du détournement ; il est difficile de généraliser vraiment, cependant le verrouillage du domaine public me semble une dérive grave de nos sociétés (ce n’est hélas pas la seule actuellement).

Ce n’est pas toujours mauvais dans le résultat : les éditions U.S.Games par exemple exercent une forte pression pour que tout et n’importe quoi ne soit pas fait du tarot de Colman-Smith et Waite, ce qui a pu avoir du bon mais qu’on aurait aussi pu leur reprocher avant qu’ils sortent des éditions plus respectueuses du travail original (le standard des années 1970 étant d’une qualité plus que discutable). Il faut aussi voir que le travail artistique étant l’oeuvre de Pamela Colman Smith, il est dans beaucoup de pays toujours couvert par le droit d’auteur – mais pas dans les pays où il est considéré que les droits appartiennent au commanditaire et non à l’artiste.

Les questions de « droit sur les méthodes » sont sans objet, on a pu voir à quel point étaient ridicules ceux qui ont prétendu protéger « leur » méthode d’interprétation des cartes, pourtant certains continuent de le faire, là c’est celui qui parle le plus fort qui trouve sans doute quelque réconfort et une petite (ou une grosse reconnaissance).


Le purisme et la tradition « à la Française » ont-ils leur raison d’être, sont-ils justifiés?


En bref non : à mon sens, la prétention à la pureté et le nationalisme sont par essence des erreurs.

La raison d’être d’un purisme avec telle ou telle étiquette – le label « Français » est un peu lourd à porter en ce moment avec l’overdose tricolore que l’actualité et les médias ont imposée – c’est une réaction. Dans le cas du tarot, c’est la réaction à un autre purisme qui semblait s’imposer. La tendance à défendre un tarot originel (l’étiquette nationale étant plutôt hors sujet pour nos cartes) est vraisemblablement née de l’hégémonie culturelle anglo-saxonne, il ne faudrait pourtant pas qu’elle s’érige en nouveau dogme.

La tradition d’interprétation « francophone » des cartes existe, certes, rien n’indique cependant qu’elle soit plus pure qu’une autre. Dans les faits les évènements historiques ont eu lieu à un moment à un endroit, c’est important de les préciser, c’est sans doute heureux qu’une partie de cet héritage soit préservé, ce serait dramatique de s’y cantonner et de s’y arrêter par principe. Il faut aussi se remémorer que les tarot français était dit italiens, tout comme les tarots belges (Rouen-Bruxelles) – qui venaient sans doute de France et avant d’on ne sait pas trop où mais sûrement plus au Sud – étaient dits « de Suisse », la pureté a bon dos dans ces heureux métissages !


A l’image du jeu de Mademoiselle Lenormand, sous quels aspects les Tarots pourraient-ils également mériter notre détestation?


Rien ne mérite la détestation, surtout pas les tarots – parce qu’ils sont beaucoup moins univoques que le « jeu Lenormand » ! Par exemple le croyant d’une religion peut y voir des éléments de sa foi exprimés clairement, là où l’athée ou le laïc peut y voir des moqueries, le païen ou le sataniste y trouveront un diable/Pan au même rang qu’un pape ou que des anges… Quand à ceux qui n’aiment pas les pratiques divinatoires, ils peuvent toujours utiliser ces jeux dans leur fonction première : taper le carton avec des amis ! C’est aussi pour cette dernière raison qu’on ne peut pas porter les mêmes critiques sur les tarots que sur le jeu Lenormand : leur fonction première n’est pas divinatoire.

On peut peut-être râler sur le manque de cohérence du tarot en tant qu’objet historique, ou du terme qui désigne parfois le jeu à la structure 21+1+56 et parfois englobe des objets aussi varié que les minchiates, les tarots réduits, des oracles de divination pas du tout prévus pour le jeu… Mais cette définition difficile à saisir est aussi une caractéristique de ce qui distingue le tarot d’un système fermé comme le jeu dit de Mademoiselle Lenormand – à qui on a attribué ce jeu sans doute arbitrairement, et comme avec un mal on trouve un bien, c’est sans doute pour se faire pardonner de tout ce qu’on lui fait dire que tant de gens vont fleurir sa tombe au Père Lachaise (je l’ai fait aussi pour me faire pardonner le texte un peu méchant que j’ai écrit sur le jeu qui porte son nom !)


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