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  • Alain Jacobs

Erick Fearson: mentalisme et tarologie.


Alain Jacobs :


Si vous le permettez, entrons directement dans le vif du sujet: qu’appelez-vous « Tarologie »?



Pour répondre, je vais faire le parallèle avec la Taromancie. Si la Taromancie est essentiellement prédictive, donc axée sur le futur, et répond surtout à des questions basiques et matérielles, la Tarologie est, je crois, plus axée sur l’ici et le maintenant, et sur l’être plutôt que sur l’avoir. Je perçois la Tarologie comme un chemin initiatique, dont le Tarot va être utilisé comme d’un instrument permettant d’accéder à une meilleure connaissance de soi. Avec la Tarologie, je pense que la seule personne que vous êtes destinée à devenir est la personne que vous déciderez d’être. Chaque lame de Tarot étant une lanterne qui éclaire le chemin. Tous ces derniers aspects n’étant pas forcément présents en Taromancie, ou en tout cas beaucoup moins. De plus, je pense qu’en Tarologie il est nécessaire d’aborder les Tarots sous de multiples aspects, que ce soit d’un point de vue symbolique, initiatique, spirituel ou encore psychologique. Plutôt que d’apprendre, il s’agit surtout à travers son étude, de comprendre le Tarot pour en extraire une certaine sagesse.

Néanmoins, ne voyez aucune vision péjorative de ma part quand j’évoque l’aspect « basique et matériel » de la Taromancie. Ces deux aspects de l’Art, la Tarologie et la Taromancie, peuvent coexister sans problème. L’un n’est pas mieux que l’autre. Ce sont simplement deux façons différentes de travailler avec le Tarot, qui souvent se rejoignent et s’imbriquent. De toutes les façons, méfions-nous des définitions. Si on n’y prend garde, elles auront tendance à nous enfermer dans des cases.


Nous enfermer, certes, mais laisser floues des pratiques dites ésotériques ou parallèles (que diriez-vous?) n’est-il pas dommageable? Peut-on laisser libre cours à tous les possibles voire toutes les dérives, sans un minimum de balises claires?

Par exemple, vous nous donnez votre définition de la Tarologie et la mettez en relation avec la Taromancie.

Je comprends maintenant ce que vous vous proposez d’offrir mais si je ne vous demande rien et que vous ne m’annoncez rien de précis (autrement dit, si nous ne nous intéressons pas l’un à l’autre), j’en reste avec ma perception de ce que l’on appelle « Tarologie » qui de mon point de vue est un contre-sens, presque un non-sens dans les faits.

Si je m’en tiens au suffixe -logie qui signifie « étude », je m’attends donc à ce qu’un tarologue étudie les Tarots, non pas aux niveaux que vous décrivez, mais à l’histoire de ceux-ci, leur chronologie, leur mode de fabrication (bref, ce qui leur est factuel). Je ne m’attends à aucune manipulation des cartes alors que la majorité des tarologues (un terme affreux et froid qui sonne médecine) ont une pratique de celles-ci, faisant plutôt de la sorte de la Taromancie!

J’ajouterais même que sous couvert de divination, la plupart ne font que réciter ce qui se lit dans les ouvrages dédiés…


Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas de définitions, juste qu’il fallait s’en méfier au risque de se laisser enfermer par celles-ci. S’enfermer dans un carcan qui nous empêcherait de voir au-delà de ce que la définition prétend définir, en nous poussant à rejeter tout ce qui ne rentrerait pas dans le cadre de cette définition. Bien sûr, les définitions sont nécessaires quand on rentre dans le factuel. Mais quand il s’agit de disciplines parallèles ou ésotériques, la définition est plus fluctuante au fur et à mesure qu’on avance dans le temps, car elle repose en partie sur notre expérience de la chose. Prenons un exemple : si vous prenez dix livres sur le Tarot, ces dix ouvrages vous donneront dix définitions de la lame de l’Amoureux par exemple. Qui a tort, qui a raison ? Qui peut prétendre détenir la vérité dans l’Art divinatoire ? Personne et tout le monde ! Chaque lame a été définie selon la sensibilité, la connaissance et l’expérience de l’auteur. La question se pose autrement : est-ce que cette définition résonne en vous ? Je vais même aller plus loin : rien ne vous empêche de définir chacune des lames selon votre propre sensibilité et votre propre intuitivité. Dans l’absolu, l’important est que l’ensemble soit cohérent et que vous y trouviez, vous et votre consultant, une résonance, et surtout un résultat. Peu importe les chemins qu’on emprunte à partir du moment que l’on arrive à destination.

Je vous rejoins quand vous me dîtes que si vous ne me demandez rien et que je ne vous annonce rien de précis, vous en restez avec votre perception de la chose. C’est vrai que c’est un non-sens absolu. C’est bien pour cela que j’explique toujours ma façon de travailler au consultant et que je lui demande quelle est sa démarche et ce qu’il est venu chercher. Il m’arrive de refuser certains consultants, parce que je ne peux pas ou ne veux pas offrir ce qu’ils demandent. D’ailleurs, en introduction j’ai souvent tendance à demander à mes consultants d’oublier tout ce qu’ils savent à propos du Tarot. Enfin, j’ai du mal à comprendre un consultant qui viendrait pour une lecture de Tarot sans rien demander et sans rien attendre. C’est absurde je pense ! Car derrière une démarche, il y a toujours une intention.

Il est vrai que si on s’en tient à l’étymologie du suffixe « -logie », la Tarologie se voudrait l’étude scientifique (donc factuelle) du Tarot. Maintenant, et pour être moins vague, il reste à savoir qui a définit la Tarologie et qu’elle est la définition de son instigateur. J’ai fait quelques recherches et je n’ai pas trouvé une utilisation du terme « Tarologie » qui soit antérieure à celle d’Alexandro Jodorowsky. (Petite parenthèse : si le lecteur à des informations sur cette antériorité et des éléments qui m’auraient échappés, alors je suis sincèrement intéressé.) Cet aparté mis à part, et si on considère que Jodorowsky en est l’instigateur comme il l’affirme, que nous dit-il ? Il dit : « J’ai fait de la lecture des cartes une sorte de psychanalyse synthétique à laquelle j’ai donné le nom de Tarologie ». Sa finalité principale n’est pas de deviner le futur mais, guidé par les arcanes, d’interroger le consultant sur son passé afin de l’aider à résoudre ses problèmes immédiats. J’ajoute que dans ses écrits il précise que sa pratique est indissociable de l’étude du Tarot. On voit donc ici qu’il ne s’agit pas simplement et uniquement de l’étude de l’Histoire du Tarot, ni même de mancie. Et quand je vois que certains usent du terme alors qu’ils ne pratiquent que la Taromancie, je me dis l’une ou l’autre chose : soit ils ignorent ce qu’est la ‘Tarologie’, soit, et c’est plus que probable, ils usent du terme ‘Tarologie’ dans un but purement mercantile, de la même façon que certains opportunistes aujourd’hui ont récupéré le terme ‘Mentalisme’. Dernière option : ils usent du terme à la fois dans un but commercial et à la fois parce qu’ils ignorent ce qu’est la Tarologie.

(Photographie : Julien Boisard)


Pourriez-vous nous livrer quelques mots de votre pratique de la Tarologie?

La pratiquez-vous par le biais du mentalisme et/ou de toute autre « bizarrerie »?


Ma pratique dépend avant tout de ce que le consultant recherche et désire. Pour reprendre les termes de Jean-Claude Flornoy, le consultant vient-il chercher une lecture événementielle? Psychologique ? Analogique ? Bien que le consultant sache que, en tant que tarologue, j’use de mes tarots pour mettre en lumière leur personnalité, leurs potentiels et les nœuds qui bloquent l’accès aux différentes voies futures qui s’offrent à eux, très rapidement leur demande est axée sur le Tarot prédictif, donc événementiel. S’ils veulent du prédictif, alors soit ! Ce n’est pas ce que je préfère pratiquer, mais j’accède tout de même à leur requête puisque ayant débuté il y a fort longtemps maintenant, en utilisant les tarots de cette façon. Mais je trouve dommage de ne limiter le Tarot qu’à cela. Car je trouve que c’est « enfermer » le consultant dans une prison. C’est le déresponsabiliser face à un futur souvent perçu comme « écrit et inéluctable ». Ce qu’il n’est pas assurément. En même temps, je comprends que 80 % de la clientèle demande ça, parce que c’est aussi l’image archétypale qu’elle a du Tarot, et c’est aussi l’image que renvoient de nombreux praticiens : user des Arcanes pour révéler un avenir « déterminé ». Mais, à mon sens, cet avenir n’est valable que dans l’instant présent. Cet avenir que je ne considère pas écrit ni immuable donc, peut changer l’instant d’après si une prise de conscience s’effectue suite aux révélations du Tarot ! Dès qu’on révèle un avenir potentiel, on le change forcément. De fait, et si le consultant le demande, je vais commencer par une lecture prédictive qui rapidement va se diriger vers autre chose en amenant le consultant, avec son accord tacite, sur des chemins de traverse. Cheminer sur ces chemins de traverse grâce aux Tarots, lui permettra, je le souhaite, de prendre conscience qu’il peut créer son avenir plutôt que de le subir. Naturellement, il n’est pas possible de le faire avec tous. Tout dépend du degré de conscience de chaque consultant. Dans ce cas, je reste dans la demande du consultant, et respecte cette demande. Reconnaissons tout de même que la majorité des consultants recherche une lecture à la « Mme Irma ». C’est peut-être pour cette raison que je ne limite pas mon activité et mon champ d’action uniquement aux consultations, et que j’intègre souvent les Tarots à ma pratique du mentalisme. Car le Tarot est un outil extraordinaire qui peut être utilisé de multiples façons. Il est par exemple un merveilleux support pour conter des histoires métaphoriques. Histoires qui permettront peut-être de déclencher chez les personnes qui les reçoivent, une réflexion, une prise de conscience, une remise en question ou que sais-je encore ? Il est aussi un excellent outil pour travailler l’intuition et notre 6ème sens. Chaque lame de Tarot étant un chemin initiatique, ce jeu est aussi un excellent support sur lequel méditer. Concrètement parlant, et pour en revenir à ma façon de travailler en consultation, je dresse pour commencer, un portrait de la personnalité du consultant, parfois en m’aidant du mentalisme. Ensuite, je vois ce qui émerge du tirage, ce que les lames ont à me dire, en m’aidant naturellement de mes perceptions, de mes intuitions, parfois de mes visions. Je laisse émerger du jeu le passé, les questionnements, les doutes et les peurs du consultant. Après avoir évoqué ses interrogations, nous tentons ensemble de dénouer les problèmes. Car oui, une certaine synergie doit se faire entre le praticien et son consultant. Une connexion d’âme à âme comme dirait Jodorowsky. Enfin, je lui laisse entrevoir les différentes alternatives que peut lui offrir son futur. Ce futur sera différent, donc multiple, s’il décide ou non d’initier l’action. Je l’invite à mieux visualiser son futur pour mieux le construire. Plus que des réponses, j’aime déclencher chez le consultant un questionnement constructif qui va lui permettre de se créer plutôt que de le laisser être l’esclave d’un futur prédéterminé. Je le répète, je considère que le futur n’est pas une fatalité, qu’il n’est pas gravé éternellement dans la pierre. Nous avons toujours le choix et le pouvoir de créer le futur que nous avons choisi, même si pour certains cela sera plus difficile que pour d’autres. Nous avons toujours ce fameux libre-arbitre. Si cela n’est pas le cas, quelles seraient l’utilité de la vie et la raison de notre présence ici-bas ? Ce que je veux dire c’est que le fait de percevoir un avenir potentiel mais non déterminé, devrait augmenter notre capacité à vivre la vie que nous désirons, et non limiter notre vie. En clair, si je vois un événement futur que je n’apprécie pas, je ne le choisis pas et je fais simplement un nouveau choix en changeant ou en modifiant mon comportement, donc mon expérience. De cette façon, je vais éviter le résultat indésirable. Mais pour cela, il faut nécessairement reconnaître que nous sommes manipulés par des schémas inconscients qu’il est nécessaire de briser pour avancer. Cela suppose donc un éveil de la conscience pour que ce soit dans l’ordre du possible. Car si nous sommes persuadés de la fatalité des choses, de l’inéluctabilité du futur, alors le risque est grand de tomber dans le piège des prédictions auto-réalisatrices. Je suis absolument de l’avis de Carl Gustav Jung quand il dit que « Ce que nous n’avons pas voulu savoir de nous-mêmes nous revient au visage comme destin ». En tant que praticien en art divinatoire, nous avons une lourde responsabilité envers nos consultants, car nous sollicitons profondément les ressources de leur inconscient. C’est pourquoi nous devrions être très attentifs à ce que nous disons au consultant et à la façon dont nous le disons. Avant de tout dire, nous devrions nous poser la question de savoir si le consultant à la capacité de recevoir présentement ce qu’on a à lui révéler. Les mots ont un pouvoir extraordinaire et ont un impact profond sur l’inconscient. C’est pourquoi il faut les manier avec précaution.

Mais si vous le permettez, laissez-moi faire une digression pour mieux faire comprendre le fond de ma pensée à propos de ces notions relatives que sont le passé, le présent et le futur. Cela va peut-être paraître bizarre pour nombre de vos lecteurs, mais j’émets l’hypothèse, car j’en ai l’intime conviction, que le temps se construit sur un axe vertical et non horizontal. Ce qui signifie que si le temps est construit sur un axe vertical, alors le passé, le présent et le futur se produisent en même temps ! Toutes les choses et les événements existent simultanément. Et quand nous faisons l’expérience de « flashs », de la médiumnité, de la clairvoyance, de la rétrocognition ou encore de la prémonition, c’est juste la capacité que nous avons à nous promener mentalement dans les différentes strates de cet axe vertical que représente le temps. Nous avançons (notre être physique) dans la vie sur un plan horizontal, mais le temps lui, se déroule sur un plan vertical. De par cette configuration, nous avons donc le pouvoir de changer ou non notre futur à chaque instant. Car ce futur que nous percevons, nous praticiens, n’existe que dans l’instant présent, seul instant qui existe en vérité. Le futur n’est qu’une projection mentale et fluctuante qui prend sa racine dans ce présent. Et si nous voulons maîtriser ce futur en le créant, alors il nous faut maîtriser et créer le présent. Et pour nous aider à créer le présent, il est indispensable d’observer et de comprendre notre propre passé. Car c’est le passé qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Mais une fois de plus, comprendre cette mécanique suppose un certain degré d’éveil. L’ignorer c’est prendre le risque de se laisser manipuler par les influences internes et externes. Nous nous laisserons ballotter au gré des influences extérieures qui elles-mêmes influenceront notre état interne (nos émotions). Et cet état influencera nos actions, car c’est à partir de cet état interne que prennent forme nos actions. En clair, si nous n’y prenons garde, nous vivrons le futur que nos schémas inconscients auront programmés. Et le Tarot justement, si nous savons l’utiliser, est un fabuleux révélateur de nos schémas inconscients.

Alors, j’ai bien conscience du fait que ce que je dis ne fait pas partie des clichés traditionnels de la voyance ou du travail avec les Tarots. Mais pour être franc, je m’en moque. Et puis je suis un peu las d’entendre les sempiternels clichés et stéréotypes qui habitent ce milieu. Je suis intimement persuadé que ces stéréotypes, ces croyances limitantes qui font partie de l’inconscient collectif conditionnent la façon de penser et la façon d’être de nombre de praticien(nes).


Vous lisant, sans entrer dans des considérations qui ne feraient qu’opacifier votre propos, je ne puis m’empêcher de penser à Maud Kristen…et au Bouddhisme.

Si un des possibles de mon futur est d’être licencié ou de me retrouver au chômage car l’entreprise dans laquelle je travaille va faire faillite, qu’y puis-je? Où est mon « libre-arbitre » ce dernier n’existant pas comme il est généralement compris, car il n’est pas libre… de conditions.


Cela vous vient à l’esprit peut-être par le fait que je suis sympathisant Bouddhiste et Taoïste et que vous l’avez deviné ! De plus, ma femme étant Japonaise, je baigne en permanence dans cette philosophie.

En effet, si l’un des possibles de votre futur est d’être licencié car l’entreprise dans laquelle vous travaillez va faire faillite, vous n’y pouvez rien. Mais je considère qu’il ne s’agit pas là de votre futur, même s’il est intrinsèquement lié, mais bien en premier lieu du futur de votre entreprise. Vous n’y pouvez rien. Par contre, vous avez le pouvoir d’être affecté ou non par cette situation. Vous êtes libre d’appréhender cette situation comme un problème ou au contraire, comme d’une libération permettant un nouveau départ. Si un(e) taromancien(ne) vous annonce que votre entreprise va vous licencier dans un futur plus ou moins proche, vous avez toujours le libre-arbitre d’anticiper l’événement pour vous y préparer. Vous avez le libre-arbitre de décider, en toute connaissance de cause, de ce qui doit être fait présentement. Dans l’exemple d’un licenciement, on perçoit ça comme un problème car on considère souvent l’emploi comme un acquis à vie. C’est une absurdité en soi, puisque tout en ce bas monde est impermanent. Il faut accepter profondément et dès le départ que nous pouvons perdre tout ce que nous avons. Ce faisant, nous ne vivrons plus dans la peur de perdre cette chose. Plus pragmatiquement, si le taromancien se limitera souvent à vous annoncer ce licenciement, le tarologue lui, cherchera à mettre en lumière les autres voies qui s’offrent peut-être à vous. Il pourra vous aider à relativiser la chose, à aborder différemment cette situation que vous percevez, à tort ou à raison, comme un problème et qui n’en est peut-être pas un. Comme le dit un collègue mentaliste : « Perception is everything » !


Selon vous, Tarologie et Mentalisme ne font-ils qu’un?


Non bien sûr. Ce sont deux disciplines bien distinctes, même si la plupart des mentalistes de la « vieille école » intègrent les Tarots dans leur discipline comme c’est mon cas. D’ailleurs, il faut noter que durant tout le XXème siècle, de nombreux mentalistes avaient en parallèle une activité de praticien en Art Divinatoire. Je citerais en exemple Rajah Raboid, Leo Tree, Doc Mahendra, W.W. Larsen sr, R. Nelson, F. Kross, R. Webster, Craig Browning… Parmi les Français contemporains je citerais Didier Verner ou encore Viktor. La liste entière serait très longue à dresser. Notons aussi que E. Enriquez fut lui aussi mentaliste, et que son blog aujourd’hui défunt, contenait de nombreuses interviews de mentalistes pratiquant aussi l’art divinatoire. Donc, si ces deux disciplines sont bien distinctes, elles s’entrecroisent très souvent. Enfin, puisque le mentalisme à l’origine est une école de développement personnel codifié au XIXème siècle, et que la tarologie est une discipline permettant de mieux se connaître soi-même, il est naturel que ces deux arts se soient rencontrés un jour.


Utilisez-vous indifféremment un tarot, disons, de « tradition » anglaise (Rider-Waite), un Tarot dit de Marseille (ou franchement de Marseille), ou celui (ceux) d’autre(s) tradition(s)?

L’un vous attire-t-il davantage qu’un autre?


Bien que ma famille m’ait offert les « Cartes Oracle » de chez Héron vers l’âge de 10/11 ans, j’ai acheté mon premier jeu de Tarot durant l’adolescence. Je devais avoir 13 ou 14 ans. C’était le Tarot de Balbi de chez Fournier. Je ne peux pas dire que j’ai vraiment découvert le Tarot avec celui-ci, car une fois les cartes en main, celles-ci ne m’ont absolument pas parlé, et ont terminé illico-presto dans un tiroir ! Pourquoi avoir fait ce choix ? Je n’en sais trop rien. Peut-être parce que c’était le seul Tarot disponible dans la boutique à ce moment-là, et peut-être parce que le symbole du Tao (le Yin et Yang) imprimé au centre du boitier m’a attiré comme un aimant ! Il faut préciser qu’à l’époque j’étais plongé dans la lecture du Tao Te King de Lao-Tseu. Ce n’est que très peu de temps suite à l’achat du Tarot de Balbi, que j’ai commencé à découvrir la magie du Tarot avec « L’Ancien Tarot de Marseille » de chez Grimaud. Les lames me parlaient beaucoup plus, sans pour autant en être pleinement satisfait. Quelques mois plus tard, je découvrais le Tarot qui allait véritablement me parler et qui allait m’accompagner durant toutes ces années. C’était le fameux « Rider-Waite », que j’utilise encore aujourd’hui majoritairement. Alors je sais que les puristes doivent faire la grimace, mais c’est ce tarot qui m’a le plus parlé. J’avais quinze ans. A l’époque, je n’avais pas encore lu le « Kaplan » et je ne connaissais pas et ne me souciais pas de l’Histoire du Tarot. Depuis, j’ai accumulé divers jeux de Tarot, mais aucun ne me parle autant que le « Rider ». Je ne saurais dire pourquoi. Néanmoins, parmi les centaines de jeux qui me sont passés entre les mains, très peu m’ont vraiment parlé. Si je devais choisir de ne garder que quelques jeux de Tarot, je choisirais en plus du Rider Waite, le Tarot de Marseille de Jean Noblet, celui de Camoin-Jodorowsky et peut-être celui d’Oswald Wirth. Le choix est assez disparate c’est vrai, mais ces Tarots me parlent pour une raison ou une autre.


Pratiquez-vous avec un Tarot comme vous pratiqueriez avec tout autre jeu de cartes ou le Tarot offre-t-il quelque chose de spécial, de différent par rapport aux autres jeux de cartes?


Hormis le jeu Zener que j’utilise très occasionnellement en mancie, je n’utilise, quand il s’agit de cartes, que le Tarot. Je n’utilise ni les cartes à jouer traditionnelles, ni les divers oracles qui ne m’ont jamais inspiré. Cependant, il est vrai qu’il m’arrive d’utiliser d’autres supports comme les pierres de sorcières pour ne citer que cet exemple. Par contre, quand il s’agit de cartes, je reste fidèle au Tarot qui est le support que j’utilise le plus régulièrement, car c’est le support qui me parle le plus et qui est le plus versatile. Je pense que le Tarot parle directement à l’inconscient, et qu’à travers ses images on peut y voir le cheminement de l’âme à travers l’évolution humaine. Je trouve que les arcanes sont une source d’inspiration et de réflexion extraordinaire. Les symboles du tarot évoquent pour moi une certaine sagesse permettant une évolution de la conscience. Le Tarot facilite l’introspection et est un extraordinaire miroir de soi. Si on observe attentivement les arcanes majeurs d’un jeu de tarot, on s’aperçoit qu’elles sont l’illustration des grandes étapes que nous traversons tous sur le chemin de la réalisation de soi. Le tarot allié à mes ressentis, à mes intuitions est personnellement un instrument « magique » idéal pour accéder à cette connaissance de soi. Et c’est en apprenant à se connaître profondément que l’on peut maîtriser et créer son futur…

(Photographie : Bruno Maurey – Agence Heka)


« Un extraordinaire miroir de soi »…

Personnellement, « le tarot comme outil de connaissance de soi » est également un stéréotype, même si, je vous l’accorde, c’est une éventualité.

Mais lorsqu’on fait parler les cartes d’un jeu de Tarot (et je m’aligne sur Thierry Depaulis pour qui « les cartes ne parlent pas…ce sont les gens qui parlent sur les cartes ») , ne parle-t-on pas, justement, de soi-même, avant tout?


Ça n’est pas un stéréotype s’il y a derrière une véritable réflexion, une vraie recherche, une véritable introspection par le biais du Tarot. Est-ce le cas pour chaque praticien du Tarot ? Je n’en suis pas persuadé. En ce sens, vous avez certainement raison. Cette affirmation est tellement galvaudée aujourd’hui qu’elle est malheureusement devenue un stéréotype.

Les mots de Thierry Depaulis me font penser à un Koan Zen que vous devez peut-être connaître : « L’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? » Je paraphraserai ce Koan en disant : « Le tarot qui repose là sur la table existe t-il si personne n’est là pour le voir ? », « Le tarot qui repose ici a-t-il des choses à dire si aucun praticien n’est là pour l’interpréter ? » Je rejoins donc Thierry Depaulis là-dessus. Les cartes ne sont rien sans leur « médium » (praticien). Ce « médium », c’est-à-dire la passerelle entre les cartes et le consultant, fera parler les cartes selon son expérience, son vécu, sa compréhension du monde, sa sensibilité… Il est donc un intermédiaire nécessaire entre les lames et le consultant. Je considère le praticien comme un artiste. De fait, son jeu de Tarot n’est que son outil, l’instrument de son expression et de ce qu’il est. On se sert de soi oui, mais je ne suis pas persuadé que l’on parle de soi. On parle de l’autre par le biais des Arcanes du Tarot, en passant bien sûr, par le filtre de notre propre personnalité. Si on veut que la lecture de Tarot soit de qualité, je considère qu’il est indispensable de s’oublier pour rester centré sur le consultant, et surtout, ne pas tomber dans le piège de la projection. Je ne compte plus le nombre de praticiens que j’ai croisé qui malheureusement projettent sur leurs consultants et malgré eux, leurs propres failles.


Pensez-vous que la pratique du Tarot demande une « mise en scène », quelle qu’elle soit ou celle-ci peut-elle totalement s’épanouir dans la simplicité?


Quand on débute, je pense qu’on a besoin d’une certaine « mise en scène », ne serait-ce que pour se rassurer et pour coller, bien inconsciemment aux archétypes. Et puis cette mise en scène est une forme de « rituel » qui, je pense, est un déclencheur qui s’adresse directement à l’inconscient pour lui dire que nous sommes prêt à entrer dans la « danse ». Cependant, plus on avance dans la pratique et dans le temps, plus on se débarrasse de ces « gimmicks » en se dirigeant vers la Voie de la simplicité. Je comprends ceux qui obéissent toujours à une certaine mise en scène, mais selon moi, la pratique peut s’épanouir en toute simplicité et donc en épurant celle-ci au maximum. La mise en scène n’est pas indispensable à la pratique du Tarot. En règle générale je travaille aujourd’hui sans « mise en scène » particulière comme certaines de mes photos commerciales ne le laissent pas supposer (rires). Je dis « en règle générale » car il m’arrive de travailler parfois lors de certaines soirées événementielles en tant que Tarologue. De fait, il m’arrive d’user de certaines mises en scène. Non pas parce que je le veux, mais simplement parce que le client qui m’a engagé le demande. J’ajouterai cependant, et parce que je le constate, que certains consultants accordent tout de même de l’importance et désirent tacitement cette « mise en scène ». Lié à l’inconscient collectif, cela fait partie du jeu. Les clichés ont la vie dure. Disons que la « mise en scène » comme on l’entend généralement, n’est plus de mise dans ma pratique personnelle. Ou plutôt, elle l’est plus à un niveau intérieur et se reflète dans mes mots et mes attitudes. Ce que je veux dire, c’est que j’aime l’idée de jouer avec mon image, avec mon être en le mettant en scène, oscillant entre autodérision, provocation ou sérieux le plus total, et être en ce sens, une sorte de « trickster », c’est-à-dire un « speculum mentis », un miroir de l’esprit pour le consultant.


Il me semble que Tarot et Mentalisme souffrent d’un mal commun: l’effet de mode. Qu’une série télévisée apparaisse et tout le monde se veut mentaliste.

Qu’une émission télévisée à succès soit quotidiennement diffusée et tout le monde se voit tarologue.

Tout cela sans même se demander ce que sont réellement Mentalisme et Tarologie…


C’est malheureusement vrai. Quand une chose, une discipline se trouve sous le feu des projecteurs, elle tend à attirer toute une foule d’opportunistes sans expérience, qui récupéreront la discipline en question pour en faire le royaume du grand n’importe quoi. L’effet de mode et la démocratisation à outrance tendent toujours à niveler les choses vers le bas. Tout le monde s’improvise mentaliste, tarologue ou encore hypnotiseur (l’hypnose est très tendance actuellement) en dénaturant, en prostituant ces disciplines, jusqu’à les vider de leur essence. C’est triste. C’est d’autant plus ironique que dans les années 90, j’ai vainement tenté de mettre le mentalisme en avant dans les médias. La réponse de ces derniers fut toujours la même : « Désolé ça n’intéressera pas le téléspectateur moyen. Ce n’est pas assez visuel ni commercial. » ! Aujourd’hui, quand on voit le succès de la série « The Mentalist », on peut dire sans trop se tromper que les médias sont rarement des visionnaires !


Peut-on, selon vous, pratiquer mentalisme, tarologie,… avec excellence, sans rien en connaître?


J’en doute très fortement. Je trouve cette question très étrange d’ailleurs ! (rires) C’est d’autant plus étrange que la Tarologie étant, entre autre, l’étude du Tarot, il est difficile de pratiquer en faisant l’impasse sur cette étude. Peut-on pratiquer un instrument de musique sans rien en connaître ? Non, bien sûr. Où alors le résultat risque d’être catastrophique ! Pourquoi en serait-il différent avec les autres disciplines ? La connaissance des principes de base est évidemment nécessaire, mais ne suffit pas. En effet, rien ne remplacera les longues années de pratique. Quand je vois que certains se lancent professionnellement dans la pratique de la tarologie ou du mentalisme quelques mois après avoir découvert ces disciplines, je trouve cela pathétique et dommageable autant pour l’Art que pour le consultant. J’ai même vu pire : après une formation de quelques jours, certains osent ouvrir un cabinet ! C’est effarant en même temps que c’est effrayant pour le consultant. Mais je suppose que c’est notre société occidentale axée sur la consommation, et donc le profit, qui veut ça. C’est juste triste.

(Photographie : Julien Boisard)


Ma question vous semble étrange mais, bien que vous soyez parvenu à y répondre, elle témoigne bien, pour moi, de l’importance de savoir de quoi l’on parle.

Je rejoins ici totalement Bertrand Saint Guillain

Si je ne trahis pas sa pensée, du point de vue de la pratique, étudier le milieu socio-culturel d’où sont issus les Tarots ne garantit rien. Utiliser un Tarot « traditionnel » et non un tarot « bricolé » (ou tout autre jeu de cartes) non plus. L’important n’est-il pas la qualité de la lecture de ces cartes?

Les Tarots de Maîtres Cartiers ont leur importance capitale à d’autres niveaux.

Je m’avancerais même à dire que Laurent Edouard et d’autres confirmeraient cela.

Ensuite, sans rien vouloir dire de votre vision de l’espace/temps (passé/présent/avenir en verticale), elle me donne à penser que l’idéal, toujours en référence à la « classification » de Jean-Claude Flornoy au sujet de la pratique divinatoire, serait également de la mettre à la verticale et de la parcourir totalement lors d’une lecture de cartes. D’ailleurs, si je ne m’abuse, c’est déjà ce qui transparaît de ce que vous nous expliquez de votre propre pratique…


Je rejoins aussi Bertrand Saint Guillain sur beaucoup de points. Il dit plusieurs choses très justes dont le fait d’être attentif à « ne pas tomber dans le piège de la sacralisation excessive de ces précieux bouts de cartons ni dans les traquenards des « vendeurs de décodeurs » de tarot ». Bien sûr, j’acquiesce totalement. Car ce faisant, on risque de se laisser enfermer dans un carcan, dans ces fameuses définitions que j’évoquais plus haut. Je pense qu’il est nécessaire d’être dans le détachement et de suivre la Voie du milieu quand on travaille avec les Tarots. Et en effet : nul besoin de connaître en détail l’Histoire du Tarot, ni même de posséder des centaine de jeux, ou encore d’avoir un « certificat » (qui ne veut rien dire soit dit en passant), pour être un bon praticien en Art divinatoire. J’ajouterais, pour casser un peu le mythe, qu’il n’est nul besoin non plus d’avoir une grand-mère, une mère ou une tante cartomancienne, ni même d’avoir un « don spécial » dans le sens communément admis, pour être un bon praticien ! Tous ces facteurs sont indépendants du fait d’être bon ou mauvais. Paradoxalement, j’ai souvent croisé des personnes revendiquant un « don » et qui se sont révélées très médiocres dans leur pratique, alors qu’à côté de ça, j’en ai vu d’autres sans « don » se révéler excellentes. Le cliché qui laisse sous-entendre que nous sommes compétents parce que nous avons un « don héréditaire », tiré d’un ancêtre qui était médium, n’a strictement aucune valeur en soi. Se reposer là-dessus et s’en gargariser reflète, je pense, un problème d’ego. Dans ma famille, il y a des cartomanciennes, des médiums, des guérisseurs et magnétiseurs, mais jamais je n’affirmerai que c’est grâce à un quelconque « don » héréditaire que je suis compétent et que j’ai plus de valeur qu’un autre ! Ce n’est pas l’hérédité ni le « don » qui fait l’excellence du praticien mais son expérience et son humanité. Et si l’on pratique une mancie, peu importe le Tarot utilisé. Je dirais même plus, peu importe le support. N’importe quel support est viable à partir du moment qu’on le juge opportun et qu’il nous parle : cartes, runes, pièces, marc de café, main, boule de cristal, entrailles d’un poulet… la liste est infinie.

J’aime assez bien l’idée, comme vous le soulignez, de parcourir verticalement toutes les strates lors d’une lecture. C’est en effet un peu de cette façon que je procède, non par choix mais parce que dans la majorité des cas je ne peux faire l’impasse sur l’aspect prédictif. Si j’avais le choix, je sauterais directement à l’étape 2 (rires), puisque je considère comme je l’ai dit précédemment, que nous sommes les créateurs de notre propre futur. Mais voilà, les archétypes ont la vie dure et je suis un peu obligé de me plier aux désidératas du consultant. Ce qui est normal somme toute. Plus j’avance dans le temps et l’expérience, plus je prends conscience que la Tarologie pure ne concerne et n’intéresse qu’une minorité de consultants en fait. C’est dommage. Beaucoup de tarologues n’oseront pas l’avouer, mais faire l’impasse sur l’aspect purement divinatoire de la chose, c’est faire l’impasse sur la majorité des consultants, et donc c’est l’assurance de ne pas pouvoir vivre professionnellement de son art. L’homme est ainsi fait qu’il a ce besoin presque viscéral d’entrevoir son « futur » pour faire taire ses angoisses de l’avenir.


Vous avez peut-être entendu parler des traces fantômes visibles sur certains tarots anciens.

Vous qui êtes également Chasseur de Fantômes, pensez-vous qu’il faille y faire quelque chose ou ces fantômes-là ne sont pas à craindre?


(sourire) Oui, j’en ai entendu parler mais je ne suis pas un spécialiste de la chose et ne me suis jamais penché sur le problème. Et à vrai dire, laissons tranquille ces traces fantômes hanter les lames de Tarots. Ça ne fait qu’ajouter de la matière au mystère du Tarot (sourire).


Pourrait-on entrer en contact avec l’esprit des cartiers d’hier (et par extension, avec celui des concepteurs d’aujourd’hui) par le biais de leurs Tarots, fussent-ils en fac-similés?


Sans même en prendre conscience, nous entrons déjà en contact avec les cartiers d’hier et d’aujourd’hui en utilisant leurs Tarots. Fac-similé ou non, leurs âmes habitent ces cartes fascinantes. Néanmoins, comme je suis d’avis à penser que la matière à une mémoire, que les objets ont une âme, je suis convaincu que leurs présences doivent être plus prégnante avec un Tarot original. Mais comment être sûr que nous n’entrons pas en contact avec l’énergie de l’ancien propriétaire du jeu de Tarot plus qu’avec le cartier ? La question se pose.


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