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  • Alain Jacobs

Yves Reynaud: la préservation d'un héritage.

Alain Jacobs :


Aujourd’hui, un autre accès, plus facile aux Tarots est possible, un accès suggéré ou même conseillé: l’histoire. Mais par où commencer?


Yves Reynaud:


Par le début peut être : l’Histoire avec un grand H celle des pays, des peuples, des religions, des symboles. La Géographie est également importante, une carte des migrations, les différentes Lois et Edits régissant les peuples sont instructifs également. Puis ou plutôt en même temps, on peut apprendre sur la technique de fabrication des cartes, les livres d’historiens dédiés aux cartes. Je déconseille l’apprentissage de l’histoire des tarots auprès d’un « tarologue », taromancien, tarologicien, ou autre tireur de cartes car ils ne sont pas compétents le plus souvent. Disons que ce n’est pas leur tasse de thé, ils/elles sont plutôt axé sur l’interprétation des cartes. Ceci dit, je suis persuadé que ne pas avoir d’affinité avec l’aspect « magique » des cartes, c’est passer à coté de l’essentiel des tarots. Les cartes de tarot ne sont pas des billets de banque que l’on peut étudier… Encore que certains sachent transformer les tarots en Or mais c’est une autre option disons…


L’information factuelle relative aux Tarots me semble d’autant plus intéressante qu’elle peut être mise en images. D’où l’intérêt des éditions de (bons) fac-similés de Tarots anciens. Sans oublier les banques d’images qu’on peut trouver sur les bibliothèques virtuelles, les forums, les sites dédiés…


RIEN ne remplace le contact DIRECT avec un jeu original.

Une bonne loupe (X10) est un minimum avec une règle demi-millimétrique, un crayon à papier et une feuille sont les outils de base. Mais un bon fac-similé permet de moins dépenser c’est sûr. Disons que les vrais fac-similés sont très rares pour des raisons financières le plus souvent : des droits à payer évités, une production de masse pour la… masse, les grosses structures font un calcul différent des petits éditeurs passionnés. C’est ainsi mais on peut trouver bien des choses par Internet à présent.


Vous avez relevé une notion importante au sujets des Tarots: le contexte socio-culturel d’où ils sont issus…


On doit éviter de raisonner 21ème siècle pour comprendre ces artisans du 17 ou 18ème siècle: La France et les pays proches étaient des nations paysannes ou l’orthographe n’était pas normalisée et encore moins les langues nationales, régionales, locales. Beaucoup de superstitions, de croyances magiques existaient, les couleurs avaient parfois des significations différentes des significations actuelles. Lisez Michel Pastoureau ce grand spécialiste tout en nuances sur le sujet.


Lorsqu’on s’y intéresse d’un peu plus près, il est tout aussi enrichissant de prendre connaissance de leur mode de fabrication, du rôle des taxes, de leur parcours géographique,…


Pour moi c’est indispensable pour vraiment comprendre les tarots. L’exemple des « cartes fantômes » est significatif de la nécessité de bien connaitre la technique et les auteurs qui ont bien décrit ces techniques. Cela évite les délires et les chausses trappes divers. Certains détails ne sont pas symboliques mais techniques ou liés à la technique de reproduction de l’époque.


Comment vous est venue l’idée d’éditer des fac-similés de Tarots? Je crois que dans vos choix figurent ceux que vous désiriez voir dans votre collection?


Effectivement je voulais avoir de belles reproductions des tarots les plus beaux. J’aurais pu (je l’avais envisagé au départ) me contenter de « photoshoper » des photos prises par moi-même dans les différents Musées et autres collections privées. Mais je trouvais cela égoïste au final et puis je pense que cela fais partie de mon « Chemin de Vie » 22/4 que de laisser ce genre de trace dans l’Espace Temps où je suis pour le moment…

Un sacrifice pour la bonne cause?


Ce n’est pas un sacrifice que de faire ce que l’on aime passionnément. Bien sur il faut se concentrer à tout point de vue : mental, financier, émotionnel. Mais je suis reconnaissant à ma moitié d’orange d’avoir supporté cet envahissement sur tous les plans là aussi.


Personnellement et pour d’autres également probablement, votre initiative est formidable car elle permet de prolonger la ligne du temps des Tarots. Si Nicolas Conver, rappelons-le, n’a pas été l’unique cartier de son époque, tout ne s’est pas arrêté avec lui et tout a commence bien avant lui…


C’est le moins que l’on puisse dire mais ne comptez pas pour moi pour une date : la recherche continue là aussi. Nicolas Conver est un tarot parmi d’autres. Il est juste plus célèbre car plus vendu. CQFD.


Sans dénigrement aucun, découvrir les Tarots qui ont précédés le Conver est étonnant mais important. Chacun a sa place, son rôle, son intérêt mais grâce à votre travail, les amateurs, les amoureux, les néophytes ont un accès plus large aux sources des Tarots. Je crois qu’aussi, mieux les connaitre évite les écueils comme les mauvaises certitudes?


Cela fait partie de mes motivations que de lever les incertitudes, rechercher la vérité sur les tarots. C’est mon moteur auxiliaire.


Vous comparez les différents Tarots entre-eux… dans quel but, hormis un grand plaisir?


D’abord un grand plaisir c’est vrai, ensuite cela vient de mon ascendant Scorpion je pense qui aime fouiner dans les recoins, chercher, flairer les pistes. Comparer, c’est relativiser les jeux, trouver la chronologie du trait, faire des recoupements, émettre des hypothèses et en éliminer d’autres.


Ne serait-ce qu’en visionnant la galerie de Tarots historiques que vous avez gracieusement mis en ligne sur votre site, on peut clairement voir que nombre de « détails » (signifiants ou non), figurent déjà sur les Tarots antérieurs à celui de Nicolas Conver. Je pense plus précisément, pour donner un exemple connu, aux trois points sur le diablotin de la carte du Diable ou le cheval en lieu et place du taureau sur la carte du Monde…


Voir les tarots anciens permet de résister aux entreprises de désinformation que certains mettent au point en tordant les faits pour les faire rentrer de force dans le cadre bien défini de leur propre théorie. Au royaume des aveugles les borgnes sont rois d’autant plus s’ils se targuent d’avoir un Troisième Œil… de secours. Je suis myope mais je vois très bien de près et c’est très utile souvent. Nicolas Conver est daté de 1760 mais Pierre Madenié édite son jeu en 1709 avec bien des détails remarquables. Idem pour François Chosson qui démarre son activité en 1736 soit 34 ans avant Conver. Et d’autres encore sans compter les très nombreux tarots « inconnus » qui restent à découvrir dans les collections privées.

Les cartiers portaient-ils des pseudonymes?


Certains l’affirment… mais quand je fais la généalogie d’un cartier, je cherche à partir de son nom de cartier et cela marche :

Pour Pierre Madenié, ses fils, Claude Burdel, François Chosson.

Cela doit fonctionner pour l’immense majorité des cartiers à mon avis.

Pour Nicolas Conver c’est plus compliqué mais c’est une autre histoire que j’écrirai ailleurs un jour à venir.


Pourriez-vous nous rappeler la différence entre « graveur » et « éditeur » au sujet des Tarots?


Le cartier est en fait un Maitre Cartier quand l’atelier lui appartient : Il est le patron (Pater comme l’écrit Pierre Madenié sur l’as de Coupe de son jeu). Il peut être également cartier ET graveur mais ce n’est pas obligatoire. Le graveur… grave seulement. Il peut avoir dessiné ce qu’il va graver mais ce n’est pas obligatoire là aussi. Le cartier peut lui avoir donné un dessin à retranscrire dans le bois d’un moule. Le graveur est un travailleur indépendant qui se loue à un atelier de cartier pour un temps donné et une mission ponctuelle. Puis il part ailleurs et change de ville, région voire pays.

J’ai adoré découvrir que les Tarots anciens comportaient une enveloppe! D’ailleurs, vous les restituez dans vos éditions. Quelles obligations (déclaration et dépôt) et quelle liberté (pour l’imagerie qui ressemble à un blason) un cartier avait-il au sujet de cette enveloppe?


Publier un tarot a été une activité très encadrée de tout temps pour des raisons fiscales car cela rapportait beaucoup à l’Etat. L’enveloppe fut un moyen de contrôle avant tout par l’administration. Les cartiers se protégeaient des margoulins et autres contrefacteurs, l’Etat prélevait des taxes sur les jeux de cartes mais aussi sur les enveloppes. Le Maitre cartier devait ainsi sur l’enveloppe : Se nommer, se situer dans la cité (donnant l’adresse de son atelier), déclarer la qualité de ses cartes (cartes fines, ordinaires), donner sa devise, se recommander éventuellement d’un Seigneur local. Ils apposaient fréquemment le blason du seigneur. Cf. Madenié qui appose sur son enveloppe celui du Duc Louis III de Bourbon-Condé Gouverneur de la Province de Bourgogne. Cf. son portrait. Ce dernier point était en fait un échange de bon procédé : On achetait un « privilège » auprès d’un Seigneur, Duc, ou autre personnage important. Cela permettait de se démarquer de la concurrence, de se faire une bonne publicité. Les nobles pouvaient ainsi par exemple payer leurs dettes fréquentes… de jeux !

Ce système de recommandation fonctionne d’ailleurs encore de nos jours : Cf. les « Fournisseurs de la Couronne d’Angleterre » qui payent forces royalties pour avoir le privilège d’apposer la fameuse recommandation.

Sans vouloir être imprécis ou flou en utilisant ce mot là, pensez-vous que l’aspect « magique » des Tarots leur est intrinsèque ou émerge-t-elle de la « magie » propre à chacun?


Le monde magique se crée en nous par l’accumulation des pensées, symboles, influences conscientes ou non que nous entreposons dans notre système central de pensée/sensations. Les tarots ne sont rien (càd des bouts de cartons colorés), sans l’activation que nous en faisons par notre contact avec eux. De même que l’observateur change les données de l’expérience, nous inter-réagissons avec les tarots en les regardant.


Vous faites un formidable travail d’investigation et d’édition. Vous nous apprenez également que des Tarots dorment encore dans les musées, presque à leur insu ou dans des collections privées. Peut-on imaginer les voir resurgir un jour ou l’autre et que pourrait-on en attendre?


Bien des Musées ignorent ce qu’ils ont dans leurs fonds : soit par manque de temps, finances, soit par ignorance des conservateurs lesquels sont pour la plupart des généralistes de l’art, mis à part certains qui se sont spécialisés dans les cartes. Un collectionneur privé lui est un être fragile qui contrairement au Musée disparaît un jour. Donc sa collection réapparaît le plus souvent à la surface du monde par le biais des ventes aux enchères. Récemment un tarot de François Tourcaty classé Tarot de Marseille Type I a ainsi refait surface. Les spécialistes des cartes ignoraient son existence… J’ai personnellement assisté à l’ouverture d’une reliure de livre qui contenait deux cartes dont une parait bien être une carte d’un tarot de François Chosson. Alors qu’officiellement un seul exemplaire du tarot de François Chosson existe (celui que j’ai ressorti en fac-similé). J’ai encore d’autres exemples de trouvailles venant de collections privées ou de Musées. De tout ces retour à la surface du connus, on peut espérer bien des remises en question et qui sait retrouver les nombreux chainons manquants de l’évolution des tarots.


En parlant de ligne du temps au sujet des Tarots, je n’envisageais pas de datation précise pour quoi que ce soit. Je voulais simplement rappeler l’existence des Tarots Princiers (Visconti-Sforza) du XVè Siècle, de ceux connus qui ont suivis jusqu’aux derniers. Sans entrer dans les détails, chacun aura ses préférences, bien entendu, mais quelle place leurs donnez-vous?


Ce sont de très beaux tarots artistiques qui reflètent les désirs du peintre qui les a faits et de ses donneurs d’ordre. Ces tarots princiers sont une partie de l’histoire du tarot mais ils sont loin du Peuple et lui parle moins. Ils parlent moins aussi aux tireurs de cartes semble t’il vu le succès des tarots plus populaires.

Les phénomènes de la copie et même du rachat des moules ont été timidement envisagés. Sait-on mieux ce qu’il en est réellement ou sont-ce des hypothèses subjectives?


Lorsqu’un cartier disparaissait de la place, par décès ou départ à la retraite, soit ses fils (le plus souvent l’ainé) ou sa veuve reprenait l’atelier et les moules. Sinon, le matériel était dispersé par le notaire au cours de la succession. Les moules pouvaient être revendus parfois par les enfants ou la veuve. La veuve pouvait aussi se remarier avec un autre maitre cartier (souvent) qui utilisait les moules après avoir fait quelques rectifications sur le nom, l’adresse de l’atelier… Tout cela est très logique dans la vision commerciale des choses.


Lorsqu’on me demande ce qu’est un Tarot, je suis déconcerté! Comment le présenter? Un simple jeu de 78 cartes n’est-il pas suffisant, … pour commencer?


Les tarots sont apparemment un jeu de cartes pour jouer. Mais jouer à quoi ? La question est bien celle-ci. On peut jouer aux cartes avec un tarot, tirer les cartes avec un tarot, voyager dans le temps avec un tarot (cela m’a amené à lire bien des livres d’histoire par exemple).


Faut-il mettre à part les tarots contemporains (qu’ils soient des chats ou des vampires), d’un côté et les tarots anglo-saxons, Rider-Waite et variations, de l’autre? Je ne suis pas certain que la distinction soit claire pour tous, notamment concernant les « clones » qui s’inspirent presque tous du modèle dit de Marseille. Je ferais le même constat sur les multiples variantes du Rider-Waite qu’on prend également pour un tarot « de Marseille »!


Chacun fait comme il veut mais pour ma part, je mets d’un coté les tarots historiques et de l’autre les tarots « artistiques ». Comme en peinture, il y a les Maitres et ceux qui ont suivi. Ce qui n’empèche pas la naissance de nouveau Maitres car la vie n’est pas figée sur une période et un tarot contemporain peut devenir le tarot historique de demain. Mais cela demande de bien connaitre ses gammes avant de savoir composer sa propre musique.


Dans la galerie des tarots historiques présente sur votre site, on apprend que c’est le tarot dit de Arnoult 1748 (Edition Lequart 1890) qui a été réédité par Paul Marteau pour réaliser son « Ancien Tarot de Marseille »… alors qu’on écrit encore que Marteau s’est servi du Conver… qui serait la copie du Chosson!


Je ne sais pas si le Conver est la copie du Chosson, mais le Chosson est bien plus intéressant que le Conver. Regardez les deux pour aiguiser votre œil. Seul Paul Marteau sait qui l’a inspiré et il est mort… Pour savoir la vérité, il faut avoir en tête l’intérêt financier de chacun et en particulier des héritiers de la Maison Grimaud. Laquelle Maison Grimaud avait à une époque acheté une bonne partie des parts de la Maison Camoin. La Maison Camoin avait acheté la Maison Conver… Entretenir une réputation cela se fait par l’entretien d’un mythe et la Vérité n’a pas de prix elle. La généalogie des cartiers nous permet de retracer le fil des emprunts successifs. Mais bien des pistes sont encore ouvertes. A suivre.

Yves REYNAUD dit Yves Le Marseillais


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